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Journées cinématographiques de Carthage – « Ennafoura » de Salma Baccar : Profondément personnel

Après « El Jaida » en 2017, Salma Baccar crée une fois de plus l’évènement et suscite l’engouement du public en apportant une touche festive aux Journées cinématographiques de Carthage. Son film « Ennafoura »  (La Maison Dorée) a été présenté, mardi dernier, en « Séance spéciale », lors de cette 35e édition des JCC.

Projeté en avant-première mondiale devant une salle comble, ce nouveau long métrage, coécrit avec Emna Rmili, se focalise sur trois personnages féminins aux parcours brisés, qui se croisent dans un vieil hôtel du centre-ville de Tunis, vestige d’un temps révolu. L’action se déroule durant l’été 2013, en pleine effervescence politique marquée par le sit-in « Errahil » du Bardo survenu après l’assassinat du député et homme politique nationaliste de gauche, Mohamed Brahmi.

Trois  femmes, trois trajectoires : Jalila (Rim Riahi), une intellectuelle, sexagénaire, militante féministe de gauche, fuit son mari Taoufik (Khaled Houissa) infidèle, et corrompu, pour prendre du recul et réfléchir à sa vie. Salwa (Amira Dérouiche), une belle prostituée, trentenaire, n’a qu’une idée en tête, se venger des hommes en leur transmettant le VIH qu’elle a contracté auprès d’un client qu’elle aimait. Aroua (Ranim Allouani), une étudiante de 20 ans, portant le voile intégral, tente d’échapper à son compagnon islamiste, Amine (Aymen Mabrouk) avec lequel elle a conclu un mariage « Orfi » (coûtumier) et qui la menace de révéler à ses parents une vidéo intime si elle ne le suit pas en Syrie.

A travers leurs rencontres, ces femmes évoluent et se transforment, elles font l’apprentissage de la vie, tissent des liens d’amitié et de solidarité dans une ambiance de sororité, avec la complicité du réceptionniste loufoque, El Fahem (Mohamed Grayaa), Madame Josette, la propriétaire de l’hôtel et Wael, un jeune cinéaste amateur amoureux d’Aroua.

Ces vécus de femmes sont marqués par des luttes personnelles, qui se confondent avec l’histoire du pays et qui connaîtront, à son image, un tournant avec l’irruption du terrorisme symbolisé par l’assassinat de l’opposant Mohamed Brahmi. Ce qui précipite l’organisation du sit-in « Errahil » où députés et militants revendiquent le départ du gouvernement de la Troïka. Dès lors, l’action tourne autour de ce sit-in, mêlant combats intimes et luttes collectives, où la petite histoire s’imbrique dans la grande, oscillant entre douleur et enthousiasme, désillusions et rêves, désespoir et espoir.

Double dimension 

« Ennafoura » est un film profondément personnel, où Salma Baccar s’inscrit, également, comme un personnage moteur, acteur et témoin des évènements. Engagée contre l’extrémisme, la violence et le terrorisme, la réalisatrice met en scène des moments clés du sit-in, reconstituant les décors en intégrant des documents visuels, dont certaines images inédites, qui préservent la mémoire de cette période historique où avec ses collègues députés de l’opposition, tels Mongi Rahoui, Mourad Amdouni, Khemais Ksilla, Ali Bennour, Fadhel Moussa, Samir Bettaeïb, Noomane Fehri et d’autres, elle a agi pour la réussite du sit-in et pour l’instauration d’un dialogue national.

Le film mêle réalité et fiction : d’un côté, des faits réels, des témoignages et des documents visuels, de l’autre, des personnages fictifs qui s’inscrivent dans cette réalité historique. Cette double dimension reflète l’engagement politique de Salma Baccar tout en réaffirmant son combat pour la cause des femmes, un thème récurrent et un enjeu central de son œuvre depuis ses débuts dans le cinéma amateur avec des courts métrages comme « L’éveil » jusqu’à ses longs métrages professionnels, tels « Fatma 75 », « Habiba M’sika », « El Jaida » et autres.  « Ennafoura » n’échappe pas à la règle puisqu’il s’agit aussi bien d’une lutte pour la liberté individuelle que collective : la liberté des femmes, mais aussi du pays. Cette quête ardente de liberté s’illustre dans un plan final ouvert sur l’horizon et la mer où les trois femmes, enfin libérées de leurs peurs, douleurs et angoisses, sont réconciliées avec elles-mêmes, leur avenir ainsi que celui du pays. Cette scène est sublimée par une musique expressive signée Rabii Zammouri. Le générique, interprété par Lobna Noomane, met en avant un poème du grand poète tunisien disparu Sghaïer Ouled Ahmed, « Nissaou Biladi ».

Côté jeu, le film est porté par trois actrices de générations différentes : Rim Riahi, sobre et juste, Ranim Allouani, naturelle à souhait et Amira Derouiche qui, cependant, tombe, à certains moments, dans le surjeu. A cela s’ajoutent les prestations convaincantes de Fatma Ben Saidane, Khaled Houissa, acteur fétiche de la réalisatrice, Mohamed Grayaa, Mohamed Karmoussi et Ali Bannour.

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