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2034, une modeste proposition » : Un théâtre qui déconstruit les pouvoirs

En l’année 2034, une femme se découvre au cœur d’une entreprise révolutionnaire : l’organisation d’un festival d’un type nouveau, épaulée par une équipe déterminée et ambitieuse. Ce sont les Journées pornographiques de Carthage. Ce festival s’avère être le déclencheur d’une série de transformations profondes au sein de la société, évoluant en marge du regard d’une classe politique en déclin. Tel est, entre autres, le synopsis de la pièce de théâtre 2034, une modeste proposition, une mise en scène signée Moncef Zahrouni. L’économiste maghrébin a assisté à la représentation du 14 décembre 2024 et s’est entretenu avec le metteur en scène.
Comment pourriez-vous nous présenter 2034, une modeste proposition ?
2034, une modeste proposition est une pièce de théâtre humoristique, une comédie qui s’inscrit dans la tradition du pamphlet. Elle s’inspire de l’héritage de Voltaire et de Jonathan Swift, le titre étant un clin d’œil à un pamphlet de Swift, écrivain irlandais du XVIIIe siècle. Nous avons voulu nous inscrire dans cette tradition du pamphlet, car en Tunisie, ce genre d’humour satirique est rarement exploré dans le cadre de la comédie. Pour moi, c’est un défi, car la comédie n’est pas vraiment mon domaine de prédilection en tant qu’écrivain. Nous avons donc décidé de créer cette satire politique futuriste. Elle aborde la Tunisie d’aujourd’hui en imaginant un futur où un festival bouleverse le pays et où une révolution féministe, menée par une femme, prend forme.
Puisqu’il s’agit d’une comédie, de nombreux metteurs en scène et réalisateurs présentent leurs œuvres sous ce genre. Dans votre pièce, vous critiquez même la célèbre sitcom Chouffli Hal. Quelles sont les spécificités de votre comédie ?
Lorsque nous avons commencé à travailler sur cette pièce, nous nous sommes interrogés sur les raisons et les mécanismes du rire. Il existe un rire naturel et un rire culturel. Par exemple, tout enfant, peu importe sa culture, rira lorsqu’une personne glisse sur une peau de banane. De même, un rire universel est provoqué par des situations comme celles que l’on trouve dans les films de Charlie Chaplin, ou encore le rire provoqué par un pet. Ce type de rire est naturel. Mais il y a aussi le rire culturel, lié aux références partagées, qui nous permet de rire ensemble.
Nous avons étudié les différentes techniques du rire et constaté qu’il en existe une quarantaine, voire une cinquantaine. Nous avons répertorié ces techniques dans un fichier Excel et analysé des productions tunisiennes, des films, des feuilletons et des pièces de théâtre. En Tunisie, trois techniques dominent : le sarcasme, qui parfois frôle l’intimidation ou le harcèlement et n’est pas le type d’humour que nous apprécions ; la caricature ; et le jeu de mots. Nous avons décidé de dépasser ces habitudes et d’explorer d’autres méthodes. Par exemple, le rire visuel, une forme moins utilisée en Tunisie.
Aujourd’hui, avec les nouvelles techniques, doit-on adapter ses œuvres pour satisfaire le public ?
Je n’aime pas ce type de rire. J’aime l’expression « être fort avec les forts et faible avec les faibles ». Notre pièce est politique, de gauche, et nous avons voulu revendiquer un rire de gauche. Pourquoi, en général, rit-on des personnes marginalisées, des plus vulnérables, ou des minorités ? Nous avons choisi d’inverser cette tendance et de rire des puissants, des riches, des aristocrates. Ainsi, notre comédie de gauche vise à démolir les statues du pouvoir.
Peut-on considérer cette pièce comme une dystopie ?
Oui, en quelque sorte. Dans le pamphlet, nous proposons une idée surréaliste qui, à première vue, pourrait résoudre tous les problèmes actuels de la Tunisie, qu’ils soient économiques, sociaux ou culturels. Cependant, au fil de la pièce, il devient évident que cette solution absurde ne pourra pas sauver le pays. Cette idée est peut-être née dans un climat de désespoir et de nihilisme, comme le dit une expression anglaise : « desperate times, desperate measures » (en période désespérée, des mesures désespérées). On pourrait donc la considérer comme une dystopie.
En parlant de sexe et de pornographie, que souhaitez-vous exprimer ?
Au départ, nous voulions contrer une idée souvent véhiculée par l’Occident : la révolution sexuelle comme solution aux problèmes de la Tunisie. Nous pensons que c’est une fausse idée. Ce qui peut réellement résoudre les problèmes, c’est une révolution culturelle, à savoir, l’éducation. L’idée de la pièce est de montrer que la révolution sexuelle n’a de sens que si elle s’accompagne d’une révolution intellectuelle et éducative.
Quels ont été les critères pour choisir l’actrice principale, Fatma Felhi ?
Fatma et moi nous connaissons depuis longtemps. L’année dernière, elle a vu mon film, et après la projection, elle m’a dit qu’elle aimait mon univers et voulait collaborer. J’ai alors proposé : « J’ai une modeste proposition pour toi. » Nous avons lu le texte ensemble, elle a aimé et a accepté le défi. J’étais ravi de l’avoir à mes côtés pour ce projet.
Fatma est une comédienne exceptionnelle, athlétique et spartiate. Son jeu, sa voix, et la technicité qu’elle a développée au fil des années en travaillant avec des metteurs en scène de renom, comme Ezzedine Gannoun, ont fait d’elle un choix naturel pour ce rôle. Bien que seulement deux personnages soient visibles sur scène, une quarantaine de personnes ont œuvré en coulisses pour assurer le succès de cette pièce.

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