La nouvelle réglementation des chèques, perçue par certains acteurs économiques comme une avancée inévitable visant à rétablir le véritable rôle du chèque en tant qu’instrument de paiement, suscite néanmoins de vives appréhensions de la part des entreprises. Celles-ci déplorent l’absence d’alternatives au financement par chèques, comme l’a souligné une Journée d’information intitulée « La nouvelle réglementation des chèques : quels impacts et quelles solutions », organisée mardi à Tunis par la CONECT (Confédération des Entreprises Citoyennes de Tunisie).
La nouvelle loi (N°41-2024, promulguée le 2 août 2024), portant principalement sur la réglementation des chèques, prévoyait une mise en œuvre effective de la plupart de ses dispositions le 2 février 2025, afin de laisser aux différentes institutions concernées (ministère de la Justice, BCT, banques, entreprises, etc.) le temps de se préparer. Toutefois, plusieurs dispositions pratiques essentielles, telles que le nouveau format du chèque et l’utilisation de la plateforme mise en place, n’ont pas pu être présentées aux entreprises pour leur permettre de s’adapter.
De plus, plusieurs aspects de la loi demeurent mal connus de nombreuses entreprises, notamment l’ouverture de comptes chèques, la limitation des carnets de chèques, la nouvelle plateforme numérique, les procédures relatives au chèque sans provision, les nouvelles sanctions, ainsi que la procédure de conciliation et d’engagement. Les mesures transitoires pour l’ancienne loi et les dispositions concernant la clôture des comptes bancaires sont également floues. Avec la criminalisation des chèques de garantie et des chèques antidatés, la loi risque d’impacter sérieusement le financement des activités des entreprises.
Dans une déclaration à l’agence TAP, le président de la CONECT, Aslan Berjeb, a estimé qu’il est encore trop tôt pour se prononcer sur les problématiques liées à cette réglementation. « Il faut attendre quelques semaines pour pouvoir tirer les premiers bilans. Mais maintenant que la loi a été promulguée et que la plateforme ‘TuniChèque’ est opérationnelle, il ne sert à rien de remettre en cause un texte déjà en vigueur », a-t-il déclaré.
Il a ajouté : « Je pense que c’est une opportunité pour que le chèque reprenne sa place de moyen de paiement à vue et que d’autres moyens de paiement le remplacent pour ce qui concerne l’aspect garanti, car le chèque n’a jamais été, par la loi, un moyen de garantie, bien que son usage en ait fait un, tant pour l’entreprise que pour le citoyen. C’est aussi une occasion pour intégrer progressivement une grande partie du secteur informel. Reste que les secteurs public et privé doivent collaborer pour développer des alternatives viables, en relevant les défis technologiques, de cybersécurité et de respect des données personnelles. Le tout doit être accompagné d’un système judiciaire efficace et efficient qui tienne compte du facteur temps, crucial dans les échanges commerciaux. »
« Des outils existants, tels que le crowdfunding, les bureaux de crédit, l’assurance-crédit, ou les cartes de crédit, peuvent contribuer à atténuer les effets négatifs sur la capacité de financement des entreprises. La traite doit également retrouver son rôle d’instrument de crédit. Nos secteurs bancaire et financier doivent faire preuve d’ingénierie et d’innovation pour mieux accompagner cette transition. Je pense que les changements disruptifs et radicaux surviennent dans des moments particuliers. Nous sommes dans une situation économique particulière et c’est précisément à ce moment que les grands changements doivent se produire. Les entreprises ont besoin d’un peu de temps pour s’acclimater », a-t-il conclu.
Sofiène Weriemi, expert-comptable et enseignant universitaire, estime cependant que l’impact économique constitue le véritable défi à prendre en compte. « Le chèque a toujours été pour les Tunisiens un mécanisme de financement et non pas un simple instrument de paiement, avec un taux de rejet qui n’a jamais dépassé 3 % et un volume supérieur à 123 milliards de dinars en 2023. Changer sa vocation du jour au lendemain posera un grand problème pour le financement des entreprises, notamment des PME, et pour la consommation. »
« L’économie tunisienne, ainsi que le secteur bancaire et financier, n’ont à ce jour pas développé d’alternatives viables pour remplacer le chèque, notamment pour le financement des entreprises. Il y aura peut-être un remplacement partiel par des mécanismes tels que l’assurance-crédit ou le crowdfunding, malgré les contraintes liées à ces instruments, mais il n’existe pas encore d’alternatives suffisamment solides pour maintenir la stabilité de l’activité économique et le rythme de consommation. Ce passage aurait dû être mieux préparé », a-t-il conclu.
Le Directeur central commercial de la COTUNACE, Nizar Bezzai, est intervenu pour présenter le mécanisme d’assurance crédit, un mécanisme ancien mais qui gagnera en ampleur avec la nouvelle loi sur les chèques. Il vise à protéger les entreprises contre d’éventuels impayés aussi bien sur le marché local qu’à l’export.
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