Centres techniques tunisiens : un potentiel inexploité pour l’innovation industrielle ?
Avec une dizaine de centres techniques industriels qui exercent une mission d’intérêt général dans les domaines de la veille technologique, de la recherche et développement et de la normalisation, la Tunisie aurait du disposer, quarante ans après la création de ces centres, d’une expertise significative en matière d’innovation industrielle et d’exportation de produits à haute valeur ajoutée.
Malheureusement, c’est loin d’être le cas. Au regard des réalisations accomplies, on ne peut que relever le mauvais rendement de ces boîtes d’ingénieurs multidisciplinaires.
Et pour cause. Il suffit de jeter un regard sur le degré de développement de l’industrie du pays pour s’en rendre compte. Après plus de cinquante ans de prétendue industrialisation, l’industrie tunisienne est encore sous-développée, peu intégré et toujours inapte à créer assez de valeur ajoutée. Ses produits, quand ils existent, sont rares, chers et dans certains cas de mauvaise qualité.
Mention spéciale pour l’industrie textile qui a vampirisé le plus net des investissements et des incitations fiscales et financières. Aujourd’hui, cette filière n’arrive pas à habiller la population tunisienne. Les Tunisiens s’habillent à hauteur de plus de 60% chez les fripiers.
Même remarque pour l’agro-alimentaire. Des produits du terroir, reconnus internationalement, de grande qualité, sont toujours exportés en vrac alors que le pays aurait pu en tirer d’importants gains en devises si jamais ils étaient conditionnés.
L’innovation érigée en priorité absolue
C’est seulement lorsqu’on a su que le site Tunisie de production internationale n’est plus compétitif dans les années à venir, avec l’avantage comparatif des bas salaires qu’on a commencé à prendre conscience de l’importance de l’innovation et de la qualification numérisée. Depuis, ces dernières sont érigées en priorités absolues avec comme corollaires, la réhabilitation et la revalorisation des centres techniques industriels et des centres de formation professionnelle.
Deux initiatives ont été prises à cette fin. Elles méritent qu’on s’y attarde. La première a consisté en la nomination, au mois de juin 2024, par le ministère de l’industrie, des mines et de l’énergie, de nouveaux directeurs généraux à la tête de 4 centres techniques industriels. Il s’agit de Noureddine Guizani (Centre technique des industries mécaniques et électriques (CETIME), Issam Krid (Centre technique de l’agroalimentaire (CTAA), Narjes Maslah Hammar (Centre technique de l’emballage et du conditionnement (PACKTEC) et Riadh Ben Rejeb (Centre national du cuir et de la chaussure (CNCC).
“Les centres techniques tunisiens, des pépites à valoriser pour relancer l’industrie.”
Espérons que ces nouvelles nominations ont été décidées sur la base non pas de critères de favoritisme et de copinage comme cela a été le cas jusqu’à ce jour, dans l’administration tunisienne, mais sur la base de contrats programmes et d’objectifs réalisables. Notre souhait est que ces nouveaux directeurs généraux soient reconnus comme des chefs de projets et des animateurs de compétences créatrices et innovantes. Avec ce profil de responsables, l’obligation de résultats doit être le maître mot.
La deuxième initiative a porté sur la promotion de la communication sur les innovations accomplies par les centres techniques.
Tout récemment, le centre technique du textile a créée l’évènement en communiquant sur un produit innovant qu’il a encadré et accompagné dans ses laboratoires. Il s’agit du développement avec succès d’une nouvelle forme de textile technique, dénommée “géotextile” économe en eau.
“Le géotextile, une preuve que l’innovation tunisienne a de beaux jours devant elle.”
Mis au point par une startup et objet d’un brevet d’invention avalisé par l’INNORPI, ce type de textile, qui aide à économiser l’eau d’irrigation utilisée aussi bien pour les arbres d’ornement que pour les arbres fruitiers, permet de protéger les dattes et d’autres fruits.
Expérimentée durant trois saisons, Géotextile Économiseur d’Eau, a prouvé une plus grande efficacité par rapport aux autres produits utilisés à la même fin par les agriculteurs au sud du pays.
La startup a également mis au point un produit pour protéger la grenade et un troisième pour protéger le raisin.
Par delà cette prise de conscience du rôle déterminant que peuvent jouer les centres techniques, leur restructuration souhaitée n’est pas, du reste, une fin en soi. Elle demeurera insuffisante et inefficiente tant que le gouvernement ne l’a pas accompagnée par la mise en place d’un écosystème numérique favorisant l’innovation, la recherche et la performance.
Plaidoyer pour la mise en place d’un écosystème favorisant l’innovation
Il faut reconnaître que pour le moment, la Tunisie traîne d’importantes insuffisances en matière d’innovation. Au nombre de celles-ci, le rapport 2023 de l’indice mondial de l’innovation publié par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), évoque la mauvaise qualité de l’environnement numérique en général.
Dans le détail, le rapport relève : « des tarifs douaniers élevés, un écosystème de recherche peu développé, des exportations au contenu technologique réduit, un recours insuffisant à l’économie de la connaissance et une main d’œuvre non-numérisée ».
“L’industrie tunisienne a besoin d’un électrochoc pour sortir de l’ornière.”
Le rapport fait état également de la faible qualité des institutions, l’instabilité juridique, la modicité de l’investissement dans l’infrastructure dédiée à l’innovation. Et la liste des insuffisances est loin d’être clôturée.
Cela pour dire in-fine que les centres techniques industriels du pays ont encore du chemin à parcourir pour s’affirmer en tant que structures qui stimulent et favorisent l’innovation, la maîtrise des technologies (Intelligence artificielle et autres) et l’ancrage, dans les entreprises, de deux pré-requis de l’innovation : le souci de l’excellence et le souci de la qualité.
Abou SARRA