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Tunisie : la nouvelle loi sur les chèques suscite des inquiétudes  

L’expert économique Sami Arfaoui estime que l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les chèques a entraîné une certaine confusion et des inquiétudes parmi les citoyens et les entreprises.

Intervenant dans Sbeh Ennes sur Mosaïque FM ce lundi 4 novembre 2024 sur les répercussions de la nouvelle législation sur les chèques sur les transactions économiques en Tunisie, Sami Arfaoui a souligné que le chèque est un moyen de paiement largement utilisé par les citoyens, les commerçants et les petites et moyennes entreprises.

«Le législateur a examiné la question d’un point de vue juridique, sans prêter suffisamment attention aux transactions quotidiennes et aux aspects sociaux, surtout compte tenu de la faible capacité d’achat des Tunisiens et de la lenteur de l’économie», a estimé Arfaoui, ajoutant qu’«il aurait été plus judicieux d’adopter une approche progressive pour faciliter l’adaptation des acteurs au changement induit par la nouvelle loi».

Le comportement commercial des citoyens et des entreprises va inévitablement évoluer, car la loi est entrée en vigueur le 2 août et il n’est pas question de retourner en arrière, a admis l’expert, tout en exprimant des inquiétudes quant l’absence de moyens de paiement alternatifs, soulignant que même le recours à la lettre de change ne serait pas suffisant, car cette méthode souffre également de problèmes liés aux procédures de recouvrement, qui exigent un ordre de paiement et ne garantissent pas un règlement rapide des droits.

Sami Arfaoui a révélé que 53% des opérations de paiement effectuées par les Tunisiens se font par chèque, ce qui signifie que la nouvelle loi aura un impact significatif. D’autant que, par la nouvelle loi, le législateur encourage les paiements en temps réel, transférant la responsabilité aux fournisseurs qui acceptent les chèques.

En effet, une plateforme sera mise en place, à partir du 2 février 2025, permettant de vérifier à l’avance la disponibilité des fonds sur le compte du client pour couvrir le montant indiqué sur le chèque, dont la durée de validité sera de 8 jours. Si le fournisseur ne bloque pas le montant dans ce délai, il sera considéré comme ayant accepté un chèque sans provision et pourrait encourir une peine d’emprisonnement allant jusqu’à deux ans si le montant du chèque dépasse 5 000 dinars.

L’expert économique a également indiqué que les banques ne délivreront plus de carnets de chèques à tous leurs clients sur simple demande. Chaque demande sera examinée par une commission spécialisée, et tous les chèques seront plafonnés. De plus, le nombre de chèques émis sera réduit en fonction de l’analyse financière du dossier de chaque client et de sa capacité de remboursement, en tenant compte de l’éventuelle existence d’un prêt et du montant des prélèvements mensuels.

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La nouvelle loi sur les chèques : une bombe à retardement !

La nouvelle loi sur les chèques me rappelle celui qui dit «apprendre la coiffure sur la tête des orphelins», dans le sens où nos députés légifèrent sur des questions qui dépassent leur niveau de  formation économique et financière et où les orphelins seraient nous tous, ménages et opérateurs économiques, qui paieront cher cette nouvelle loi en termes de tracasseries quotidiennes pour régler nos transactions , qu’elles soient d’ordre personnel ou commercial. Explications…    

Dr Sadok Zerelli *

Bien que j’ai déjà publié un article sur la nouvelle loi sur les chèques qui entrera en vigueur dès janvier 2025, il me semble que les bouleversements qu’elle va introduire dans la vie de tous les ménages et tous les opérateurs économiques (particulièrement les commerçants et les PME qui constituent 80% du tissu économique en Tunisie  et pour qui le paiement par chèque est vital, notamment pour accorder des facilités de paiement à leurs clients), méritent un deuxième article et même des centaines d’autres rédigés par d’autres auteurs sous d’autres angles. La qualifier de «bombe à retardement» n’est à mon sens ni une exagération ni un abus de langage, comme on peut s’en convaincre par les arguments suivants.

Amalgame entre deux catégories d’utilisateurs des chèques 

Nos députés doivent savoir qu’il existe bel et bien deux catégories d’utilisateurs de chèques comme moyens de paiement :

– les émetteurs de chèques sans provision, soit par malhonnêteté soit par inadvertance, soit par mauvais calculs des revenus qu’ils anticipent et qui sont une minorité (autour de 10000 par an selon certaines sources judiciaires);

– les émetteurs de chèques avec provision qui constituent l’écrasante majorité des utilisateurs de ce moyen de paiement, si pratique et indispensable pour l’exercice d’un grand nombre d’activités économiques, notamment commerciales (plusieurs millions d’utilisateurs par jour).

Le premier constat qui ressort de la lecture approfondie des différents articles de cette nouvelle loi sur les chèques est qu’elle affecte tous les utilisateurs de chèques, quoique à des degrés divers et sous des aspects divers, alors que le bon sens et la justice commandent d’exclure ceux qui respectent la loi en vigueur et n’émettent pas de chèques sans s’assurer qu’ils disposent bien d’une provision suffisante. Mettre tout le monde dans le même sac comme le fait cette nouvelle loi en imposant à tous certaines contraintes telles qu’une limite maximale du montant d’un chèque à ne pas dépasser (30 000 dinars) ou une durée de validité d’un chéquier (6 mois) ou interdire carrément l’encaissement des chèques aux guichets des banques, est  une injustice flagrante vis-à-vis de millions d’utilisateurs honnêtes et respectueux de la loi existante.

Le chèque ne sera plus un moyen de paiement «à vue»

Selon tous les manuels universitaires d’économie monétaire et dans toutes les facultés de sciences économiques du monde, y compris les nôtres où j’ai personnellement enseigné pendant des années un cours de théorie monétaire aux étudiants de 3e année de l’IHEC, le chèque est considéré comme un moyen de paiement «à vue», c’est à dire que sa simple remise libère l’émetteur de sa créance vis-à-vis du bénéficiaire, exactement comme le fait la remise d’une somme d’argent en espèces.

Cette équivalence entre les paiements par chèque et les paiements par espèces est telle que les économistes calculent l’agrégat de la masse monétaire au sens strict (M1) comme la somme du volume des billets de banque et pièces de monnaie en circulation (appelée «monnaie fiduciaire» parce qu’elle repose sur la confiance des agents économiques dans l’Institut d’Emission) et du volume des dépôts à vue dans les comptes courants ouverts dans les banques commerciales (appelée «monnaie scripturale» parce qu’elle prend la forme d’écriture sur les comptes des clients). La raison en est que les dépôts «à vue» comme l’indique leur nom, sont mobilisables à tout moment par des virements ou des chèques ou des cartes bancaires sans aucune limite autre que le montant des dépôts effectués. Par contre les dépôts dans les comptes d’épargne qui ne sont mobilisables que moyennant la présentation d’un carnet d’épargne au guichet d’une banque s’appellent de la quasi-monnaie et ne font partie que l’agrégat de la masse monétaire au sens large (M2).

Sous cet angle certes académique, mais que nos législateurs ont eu tort de négliger, toutes les dispositions de la nouvelle loi qui plafonnent le montant d’un chèque à 30 000 dinars, limitent la validité d’un chéquier à 6 mois ou interdisent l’encaissement d’un chèque aux guichets des banques, sont contraires aux règles universelles en la matière et menacent l’existence même du chèque en tant que moyen de paiement dans notre pays. Est-ce que nos législateurs qui ont élaboré et voté cette nouvelle loi en sont conscients ? Il semble bien que non !

L’interdiction de l’émission de chèques non barrés

Sachant que l’émission  d’un chèque sans provision est un délit, que ce chèque soit barré ou non, on peut se demander quelle est le sens de la présence de cette disposition dans la nouvelle loi et dans quelle mesure elle va permettre de lutter contre le phénomène de l’émission de chèques sans provision, objet déclaré de cette nouvelle loi.

D’autre part, selon  une étude récente publiée par l’OCDE et que nos législateurs auraient dû consulter avant d’élaborer cette nouvelle loi sur les chèques, seulement 34% des ménages en Tunisie possèdent un compte courant bancaire. Comment vont faire les 66% de ménages restants, soit deux ménages sur trois, qui n’ont pas de compte courant pour encaisser leurs chèques ? C’est une bonne question à poser à nos députés qui ont voté cette loi.

Compter sur les paiements par virement bancaire, qui supposent d’avoir un compte courant bancaire et qui même dans ce cas, ne sont point possibles hors des jours et des horaires d’ouverture des banques, ou sur les paiements électroniques par carte de crédit ou monnaie digitale qui supposent une culture financière que la majorité des citoyens n’ont pas, en particulier les personnes du troisième âge, dénotent d’ un manque de réalisme surprenant, de la part des députés qui sont supposés connaitre les réalités socioéconomiques du pays !

Le risque de viol du sacro-saint principe du secret bancaire 

Tous les systèmes bancaires dans tous les pays du monde, pas seulement en Suisse, repose sur le sacro- saint principe du secret bancaire que toutes les banques commerciales sont tenues de respecter.

En effet, la richesse d’un individu (ou, inversement, sa pauvreté si son compte est en au rouge) est une information qui relève de la sphère privée qu’il est du droit de tout un chacun de vouloir préserver.

Or, le cœur du système de lutte contre l’émission de chèques sans provision imaginé par les auteurs de cette nouvelle loi est une plateforme électronique que la banque centrale est tenue de créer avant la date d’entrée en vigueur de la nouvelle loi (janvier 2025) et que tout bénéficiaire d’un chèque pourrait consulter en temps réel pour s’assurer que l’émetteur dispose bien d’une provision suffisante.

Indépendamment des problèmes techniques pour la mise en place d’une telle plateforme qui représentent un véritable défi à relever pour les informaticiens de la BCT, surtout qu’ il ne reste plus que deux mois avant l’ entrée en vigueur de cette nouvelle loi, il est clair qu’ un tel système viole le sacro-saint esprit du secret bancaire et qu’ il va inciter un grand nombre d’ opérateurs à retirer leurs dépôts et effectuer leurs transactions hors du circuit bancaire et rejoindre ainsi le secteur informel. Est-ce que les auteurs de cette loi ont pensé à ce risque de retrait massif des dépôts bancaires et d’évasion vers le secteur informel ? Il semble bien que non !

La menace sur le système bancaire 

C’est probablement le danger le plus grave qui guette le système bancaire dans son ensemble et donc toute l’économie du pays, ce qui justifie, à mon sens, le terme de «bombe à retardement» dans le titre de cet article.

En effet, cette nouvelle loi non seulement épargne la prison aux émetteurs de chèques sans provisions d’un montant inferieur ou égal à 5000 dinars, mais aussi fait obligation aux banques de les payer sous 08 jours ouvrables, même si le tireur ne dispose pas d’une provision suffisante et qu’il refuse d’approvisionner son compte (c’est précisé dans le texte même de l’article).

Il est clair que ces dispositions de la nouvelle loi vont créer de graves problèmes de solvabilité pour les banques et menacer même l’existence de certaines. Or, dans le domaine bancaire, il suffit qu’une seule banque fasse faillite pour que, par effet de dominos, tout le système bancaire s’écroule.

Ainsi, il ne fait pas de doute que certains clients, pour ne pas dire la majorité d’entre eux, vont essayer de contourner de cette nouvelle disposition de la loi, en émettant plusieurs chèques d’un montant égal ou inférieur à 5000 dinars pour une transaction dont le montant total dépasse largement ce seuil (par exemple émettre 4 chèques d’un montant de 5000 dinars chacun pour une transaction dont le montant total est 20 000 dinars). D’autres, de véritables escrocs, vont abuser de cette nouvelle disposition de la loi sur les chèques  pour émettre pour des transactions fictives des chèques d’un montant inférieur à 5000 dinars que les banques seront obligées de payer et que le tireur et le bénéficiaire du chèque se sont entendus au préalable de se partager.

Face à ces risques, les banques ne vont pas rester les bras croisés et vont prendre toutes les dispositions qu’elles peuvent pour se protéger et préserver les dépôts que leurs clients leur ont confiés.

En particulier, elles risquent fort bien d’exiger de leurs clients de leur fournir  des garanties réelles telles que des hypothèques sur des maisons ou des voitures ou tout autre actif réel avant de leur délivrer un chéquier, alors qu’il s’agit pour ces clients de pouvoir dépenser leur propre argent qu’ils ont déposé eux-mêmes dans leurs comptes. (Il parait d’après certaines rumeurs, que les banques ont déjà commencé à demander à leurs clients de leur restituer les chèques qu’ils n’ont pas encore utilisés !).

Est-ce-que nos législateurs qui ont voté cette nouvelle loi, ont pensé à cette situation qui sera,  pour le moins qu’on puisse dire, aberrante? Il semble bien que non !

Dépénaliser l’émission de chèques sans provision

Vouloir dépénaliser le délit d’émission de chèques sans provision est une chose et finir par tuer le chèque come moyen de paiement et en priver des millions d’opérateurs économiques  est une autre chose très grave pour l’économie nationale.

A ce sujet, personne ne peut contester l’objectif louable du législateur d’éviter ou de réduire les peines de prison aux émetteurs de chèques sans provision.

Il est un fait que certaines condamnations sont très lourdes surtout pour ces malheureux  dirigeants de PME,  que le Covid-19 et la récession économique qui sévit depuis dans le pays, ont mis en faillite et qui ont non seulement perdu leurs investissements, mais se retrouvent aussi en prison avec tous les drames familiaux que l’on peut imaginer. Personne ne peut contester aussi que le principe de non cumul des peines dans le code pénal actuel aboutit à des condamnations quelquefois ridicules de 130 ou 150 années de prison, dépassant ainsi l’espérance de vie même du condamné !

Dans ce sens, la nouvelle loi qui prévoit la dépénalisation des chèques d’un montant inférieur ou égal à 5000 dinars, la limitation à deux années de prison au lieu de cinq pour les émetteurs de chèques sans provision d’un montant supérieur à 5000 dinars et introduit le principe du cumul des peines de sorte que le total des condamnations en matière d’émission de chèques sans provisions ne dépassera plus dix ans, constitue certainement un progrès à saluer sur le juridique et humain. Il en est de même des autres dispositions de cette loi telles que l’instauration d’un processus de conciliation entre l’émetteur et le bénéficiaire du chèque sous l’égide du procureur de la république qui ne serait plus saisi automatiquement ou l’attribution d’un délai  pour permettre la régularisation  à l’amiable sans saisir la justice que seul le bénéficiaire du chèque pourrait décider. 

A ce sujet, on doit faire remarquer que la nouvelle loi aurait pu aller encore plus loin et dépénaliser totalement l’émission de chèques sans provision en remplaçant la peine de prison par une peine de travaux d’intérêt général. Beaucoup de pays vont dans ce sens et en particulier l’Italie, où on se rappelle tous que l’ex- milliardaire et ex- Président du Conseil, Silvio Berlusconi, a été condamné à trois mois de travaux d’intérêt général pour fraude fiscale, qu’il a bien dû effectuer, habillé d’un bleu de travail, dans un auspice de vieillards à changer leurs couches et nettoyer leurs toilettes ! Cet exemple illustre le principe d’égalité de tous devant la loi et le sens civique que nos députés auraient pu  à s’en inspirer.

Chez nous, on peut très bien imaginer et mettre en place de nouvelles dispositions du code pénal selon lesquelles, par exemple, le médecin qui a émis un chèque en bois sera condamné à donner pendant tel nombre de mois des consultations gratuites aux pauvres, l’enseignant ou intellectuel à donner des cours de rattrapage aux enfants en retard scolaire, le paysan ou l’agriculteur à planter des arbres, le chômeur ou analphabète à nettoyer nos rues… La collectivité nationale y gagnerait alors qu’elle est largement perdante lorsqu’ on met des gens en prison, même pour des périodes plus courtes comme le fait la nouvelle loi sur les chèques (il paraît, selon certaines sources qu’un prisonnier coûte à la collectivité nationale 50 dinars par jour en salaires des gardiens, en frais de nourriture, etc.). 

Affectation de 8% des bénéfices des banques à un fonds spécial 

Si on considère que l’objectif déclaré de cette nouvelle loi est, d’après ses auteurs, de dépénaliser l’émission de chèques sans provisions, il va sans dire que cet article qui fait obligation aux banques commerciales d’affecter 8% de leurs bénéfices pour financer un fonds de microcrédits individuels sans garanties ni intérêts, tombe comme «un cheveu dans la soupe».

En effet, s’il s’agit d’un nouvel impôt déguisé sur les bénéfices cela relève de la loi des finances votée chaque année et non pas d’une loi organique. A ce sujet, on relève que le projet de loi des finances pour l’année 2025 a déjà prévu une augmentation de l’impôt sur les bénéfice des banques de 35% à 40% Avec ce prélèvement de 8% supplémentaires prévu par cette nouvelle loi, cela représente un taux global d’impôts sur les bénéfices de 48% et une augmentation subite de 13% en une seule année, ce qui pourrait mettre en péril l’existence même de certaines banques et finir par tuer «la poule aux œufs d’or» que les banques représentent pour l’Etat.

D’autre part, on relève que cet article ne précise la vocation de ce fonds  (on peut se douter qu’il s’agit d’un mécanisme de financement de ces fameuses sociétés communautaires, si chères à notre président), ni pas les critères d’éligibilité à ce fonds, ce qui peut donner lieu, s’agissant de prêts sans garanties ni taux d’intérêt, à un grand trafic d’influence et de magouilles pour en bénéficier

Enfin, cet article de la nouvelle loi sur les chèques pose deux problèmes d’ordre académique, certes, mais qui méritent d’être signalés  l’un est d’ordre juridique et l’autre d’ordre économique.

Non-conformité au droit commercial

Sur le plan juridique, tout maitrisard en droit commercial sait que la répartition des bénéfices d’une société anonyme (toutes les banques commerciales ont ce statut juridique) relève des attributions des seules assemblées générales des actionnaires. Affecter  par la force de la loi une partie des bénéfices d’une banque au profit de tel ou tel fonds, quels qu’en soient l’usage et les motivations, est contraire aux dispositions et à l’esprit même du code de commerce enseigné dans toutes nos facultés de droit

A la limite et pour le cas particulier des banques commerciales, seule la banque centrale en tant qu’autorité de tutelle du système bancaire, peut imposer par circulaire signée par le gouverneur, l’affectation d’une partie de leurs bénéfices dans un fond spécial, comme elle leur impose déjà par circulaire un certain nombre de réserves obligatoires à détenir et un certain nombre de ratios prudentiels à respecter. Mais même ces circulaires de la BCT n’ont pas force de loi car les banques commerciales peuvent y déroger en sachant qu’elles auront à payer dans ce cas des pénalités à la BCT. Comme les dirigeants des banques ne réfléchissent qu’en termes de profits, ils finissent en général par respecter les directives émises par la banque centrale pour ne pas avoir à payer des pénalités

La gratuité des prêts est antiéconomique

Sur le plan économique et financier, la gratuité des microcrédits individuels à accorder par ce fonds spécial est une disposition antiéconomique qui se traduira par un gaspillage de ces ressources financières, comme de toute chose gratuite. Cela  s’explique par  au moins raisons que je ne vais pas développer beaucoup pour ne pas trop s’éloigner du sujet.

La première est que, selon la théorie financière qui est à la base du calcul du taux de rentabilité interne (TRI) de tout projet d’investissement, la valeur actuelle d’un flux de revenus est d’autant plus faible que  l’échéance de son paiement est lointaine. En effet, chaque collectivité nationale attribut implicitement un taux de préférence pour le présent qui est forcément positif pour la bonne et simple raison que personne n’est sûr d’être encore en vie dans le futur proche, et encore moins dans le futur lointain.  Le taux d’intérêt qui est égal à la somme du taux d’inflation anticipé et celui de la préférence pour le présent de la collectivité national devra donc être positif même si l’inflation anticipée sera nulle.

Un  autre argument qui explique pourquoi le taux d’intérêt sur un prêt ne peut pas être nul  est que, selon la théorie économique du bien-être (Wealfare theory), à partir du moment où  les quantités d’un facteur de production sont limitées (c’est le moins qu’on puisse dire pour le facteur capital), son affectation ou son usage pour un projet ou un fonds particulier prive forcément d’autres secteurs et agents économiques qui auraient pu l’utiliser pour investir dans un autre projet ou l’affecter à un autre fonds qui permettrait d’améliorer davantage le bien-être collectif. C’est le concept du coût d’opportunité d’un facteur de production, qui ne peut pas être nul sauf si les quantités de ce facteur de production sont illimitées.

Pour l’ensemble de ces raisons, le législateur aurait dû instaurer pour les prêts à accorder par ce fonds, des taux d’intérêts non pas nuls, ce qui n’a pas des sens en termes d’allocation optimale des ressources, mais bonifiés, ce qui implique qu’ils ne sont pas nuls mais pris en charge par l’Etat ou tout autre fonds.

Ces considérations d’ordre théorique, qui peuvent apparaître sans importance pour certains, ne le sont pas en réalité parce que la pertinence d’une loi se juge d’abord sur son respect des principes du droit existant et de sa rationalité économique.

Est-ce que nos législateurs qui ont élaboré cette nouvelle loi y ont pensé ? On peut penser, qu’ils sont à mille lieux de l’avoir fait

En résumé, il apparaît clairement,  en tout cas pour moi en tant qu’ économiste, que nos députés, emportés par leur enthousiasme à sortir de prison quelques milliers d’émetteurs de chèques en bois et  à éviter à d’autres de s’y retrouver, ont piétiné allègrement un certain nombre de principes fondamentaux sur lesquels repose tout système bancaire,  et un certain nombre d’enseignements donnés dans nos facultés de droit et de sciences économiques, au point qu’il m’arrive de me demander parfois s’il ne vaudrait pas mieux les fermer.

La meilleure conclusion à cette analyse qui se veut objective et scientifique, est sans doute de recommander au Chef de l’ Etat de prendre un décret pour  suspendre cette nouvelle loi sur les chèques ou du moins retarder son entrée en vigueur au-delà de Janvier 2025, le temps qu’ elle fasse l’objet d’ un véritable débat impliquant tous les acteurs et opérateurs économiques concernés, en particulier l’association professionnelle d banques qui sont les principales concernés et qui, étrangement, n’ ont apparemment pas été consultées. Ce large débat devra impliquer aussi l’ association de défense des consommateurs pour représenter les ménages, l’Utica pour représenter les chefs d’entreprises, la société civile et bien sûr les enseignants universitaires, parce sans l’ assistance de ces derniers, nos députés qui sont, à la base, des hommes politiques venant d’horizons divers (médecin, ingénieur, commerçant, agriculteur etc. ) et ayant rarement une formation économique et juridique suffisante pour légiférer sur des questions aussi techniques, vont continuer à «patauger». Je crains que ce soit ce qu’ils ont malheureusement fait lors de l’élaboration de dette nouvelle loi sur les chèques.

L’économie de notre pays qui est déjà chancelante (0,6% à 1,2%, selon les sources, de taux de croissance attendu pour l’année 2024, alors que d’autres pays qui n’ont pas de plus grande population ni davantage de ressources et qui ont aussi subi les mêmes chocs extérieurs à qui nous avons tendance dans nos discours officiels à tout attribuer (Covid-19, guerre en Ukraine etc.), tels que la Côte d’Ivoire ou le Sénégal ou le Rwanda etc., font facilement du 5% et même du 7% de croissance par an, grâce à une législation plus adaptée à leurs réalités socio-économiques et une meilleure gouvernance économique) n’avait pas vraiment besoin d’une telle loi élaborée à la hâte et sans concertation avec les principaux acteurs économiques, pour l’enfoncer davantage dans la morosité pour ne pas dire dans l’anarchie.

Notre Tunisie mérite mieux.

* Economiste consultant international.

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