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Driss Guiga et l’arabisation de l’enseignement en Tunisie

La question de l’arabisation partielle de l’enseignement en Tunisie, qui a commencé dans les années 1970-1980, continuent de susciter des polémiques, souvent d’ordre idéologique et politique. L’architecte de cette réforme, l’ancien ministre Driss Guiga ne renie rien de ce choix sur lequel il revient dans un livre de mémoire publié récemment. «Nous devons enseigner en arabe toutes les matières susceptibles de l’être sans difficultés», écrit-il aujourd’hui, quarante-cinq ans après.

Mohamed Sadok Lejri *

J’ai écouté l’interview que Driss Guiga a accordée à Myriam Belkadhi il y a de cela quelques jours. Je n’ai pas encore lu son autobiographie intitulée ‘‘Sur le chemin de Bourguiba’’ (éditions Cérès, septembre 2024, 261 pages) mais son témoignage est passionnant.

Driss Guiga était quand même l’une des pièces maîtresses du régime de Bourguiba. C’est un homme d’une stature exceptionnelle que l’on peut hisser au rang des bâtisseurs de l’Etat tunisien moderne.

En revanche, le fait de l’entendre promouvoir l’apprentissage des langues étrangères et la dimension méditerranéenne de la Tunisie et parler en français (une langue qu’il maîtrise à la perfection et qu’il semble savourer) pendant plus de la moitié de l’échange m’a fait marrer, ou plutôt m’a fait rire jaune. Car, pour moi et pour beaucoup d’autres, Driss Guiga est un peu à l’origine de l’annihilation de la langue de Molière en Tunisie.

En effet, on se trompe en disant que c’est Mohamed Mzali qui a commencé à arabiser les matières qui étaient enseignées en français, en particulier l’histoire-géo et la philosophie. C’est Driss Guiga qui a été le précurseur de l’arabisation.

A l’époque, il fallait combattre le courant marxiste en lui opposant une pseudo-identité arabo-islamique. On connaît le résultat. Au lieu de tirer la leçon des échecs successifs, on a persisté dans l’erreur en arabisant toujours davantage.

Ce n’est pas un hasard si nous assistons, depuis de nombreuses années, à la lente mais inexorable déclin de l’enseignement. Je persiste et signe : l’arabisation est en grande partie responsable de la faillite du système éducatif tunisien et de son effondrement. Comme m’écrivait un ami quelques jours plus tôt : «La déconstruction de notre système éducatif des lumières, depuis sa prise en main par les arabisants dogmatiques, sa cession a un secteur privé au logiciel féodal et l’arrimage de la Tunisie à un Orient passéiste et décadent ont pondu tant d’ignorance, de bigoterie, d’hypocrisie et autres pathologies sociales inconnues dans les années 1960 et 1970, quand la Tunisie forçait l’admiration et le respect partout dans le monde.» (Rachid M.)

Il aurait été souhaitable de laisser les idéologies de côté dans la conception et la mise en application de la réforme du système éducatif dans les années 1970 et 1980. Il fallait faire preuve d’ambition et d’audace : placer la barre le plus haut possible pour former des générations de jeunes compétents, pratiquant avec aisance aussi bien le français que l’arabe. C’était le pari de l’avenir.

Pourtant, l’école des années 1960, celle de la réforme Messaadi, avait partiellement répondu à cette exigence. Le ministre de l’Education nationale de l’époque, Mahmoud Messaadi, pourtant arabisant, mais pratiquant avec élégance la langue française, avait toujours reporté aux calendes grecques l’arabisation. Ahmed Ben Salah, quant à lui, titulaire d’une licence de lettres (arabe), a réintroduit l’enseignement du français en première année primaire lorsqu’il avait occupé pour une courte période le poste de ministre de l’Education nationale.

J’aimerais bien un jour rencontrer Driss Guiga pour recueillir son témoignage sur ce sujet bien précis et sur son rapport à la langue française.

* Universitaire.

NDLR:

Dans ses Mémoires, Driss Guiga revient sur son passage à la tête du ministère de l’Education nationale et la mise en œuvre de la politique d’arabisation partielle de l’enseignement : les lettres, l’histoire, la géographie, le droit et la philosophie. «Réintroduire la langue arabe comme moyen d’accès à la connaissance moderne et à la confrontation avec la modernité, de manière graduelle, pragmatique, souple, sans dogmatisme et sans contrainte pour le corps enseignant qui doit s’être préparé sérieusement à ce transfert», écrit-il.

Pour préparer cette réforme, Guiga raconte les péripéties d’un voyage qu’il a effectué dans plusieurs pays arabes du Proche-Orient pour étudier comment la langue arabe est utilisée dans l’enseignement, et parmi ses rencontres, il y en a une qui mérite d’être relatée pour sa pertinence, et telle qu’il la raconte lui-même : «Le recteur de l’Université d’Alep, qui était ingénieur de formation, nous dit clairement : ‘‘Si vous enseignez les matières scientifiques en français, ne changez pas !’’ A ma question : ‘‘Mais pourquoi ne le dites-vous pas à votre ministre ?’’, la réponse fut : ‘‘C’est un tabou politique et de toute façon les enfants des ministres de la nomenklatura du régime étudient  à l’Université américaine de Beyrouth.’’ CQFD.»      

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Tunisie : la révolution agraire selon Kaïs Saïed   

Donner un coup de pouce aux entreprises communautaires récemment créées pour les aider à démarrer leurs activités et entrer en production est l’une des principales préoccupations de Kaïs Saïed. Sauf qu’en développant l’esprit d’assisté chez les jeunes promoteurs, notamment dans le domaine agricole, on ne leur donne pas forcément les meilleurs outils pour réussir.  

Imed Bahri

Les entreprises communautaires, dont le président de la république est en train de faire le principal vecteur de réforme du modèle économique vaguement libéral en place en Tunisie depuis le début des années 1970, rappellent aux Tunisiens les coopératives de triste mémoire mises en place dans les années 1960 par l’hyper-président Habib Bourguiba et son hyper-ministre ministre Ahmed Ben Salah. Sauf que le président Saïed, nullement découragé par l’échec historique du coopérativisme à la Tunisienne, croit pouvoir reprendre cette expérience sur de nouvelles bases en lui donnant de meilleurs atouts pour réussir.

D’ailleurs, le chef de l’Etat multiplie les instructions et les recommandations aux membres du gouvernement pour qu’ils volent au secours des entreprises créées sur ce modèle, chacun selon ses prérogatives et son champ d’action.  Et c’est à cet effet qu’il a créé au sein de l’actuel gouvernement, conduit par Kamel Maddouri, un secrétariat d’Etat chargé des Entreprises communautaires qui a pour mission d’œuvrer à lever les obstacles de toutes sortes (légaux, administratifs, financiers, etc.) auxquels font face ces entreprises censées donner du travail aux diplômés chômeurs et relancer la dynamique de développement dans les régions défavorisées, mais qui peinent toujours à démarrer leur activité, faute de savoir-faire et de moyens financiers.

«Nationalisation» des terres agricoles  

Recevant hier, vendredi 25 octobre 2024, au Palais de Carthage, les ministres de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, Ezzedine Ben Cheikh, et son collègue des Domaines de l’Etat et des Affaires Foncières, Wajdi Hedhili, le chef de l’Etat «a ordonné lélaboration d’un nouveau texte donnant la priorité aux jeunes dans lexploitation des terres domaniales pour la création dentreprises communautaires», indique un communiqué de la présidence.

«Quelque 230 000 hectares de terres domaniales sont soit négligés, soit données en exploitation à bas prix à des particuliers depuis des décennies, sans compter la corruption et laccaparement de vastes superficies sans aucune base légale», a déclaré Saïed, ajoutant  que «la priorité [accordée aux promoteurs d’entreprises communautaires dans l’attribution de ces terres domaniales, Ndlr] est un principe inscrit dans la loi et doit s appliquer à lexploitation des terres domaniales».

«La Tunisie a besoin dune nouvelle nationalisation des terres agricoles qui bénéficiera aux citoyens et au pays dans son ensemble», a conclu le chef de l’Etat, soulignant que «la Tunisie peut atteindre l’autosuffisance agricole grâce à sa richesse».

Une mentalité d’assisté

Le président de la république, qui mène, selon ses propres termes, une seconde «guerre de libération nationale», après celle qui a abouti à l’indépendance de la Tunisie le 20 mars 1956, estime que notre pays a besoin aujourd’hui de se réapproprier les terres agricoles qui ont été arrachés aux colons français, le 12 mai 1964. Celles-ci, qui s’étendaient à l’époque à plus de 700 000 hectares, sont gérées depuis par l’Office des terres domaniales (OTD), mais elles plutôt mal gérées et certaines sont en friche, abandonnées ou exploitées illégalement par des sortes de «squatters».

C’est pourquoi le président de la république semble déterminé à céder une partie de ces terres domaniales non exploitées, et qui sont autant de ressources perdues pour le pays, aux entreprises communautaires à caractère agricole, espérant peut-être ainsi les voir devenir plus productives et contribuer à l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire.

Il reste cependant à espérer que ces jeunes promoteurs qui créent des entreprises communautaires à vocation agricole, tout en mettant tout leur dévolu sur les aides publiques et les facilités de toutes sortes accordées par l’Etat vont être capables de garantir une exploitation optimale des terres qui leur seront cédées, et non continuer à compter sur l’Etat pour le faire à leur place, surtout qu’on est en train de leur inculquer cette détestable mentalité d’assisté souvent associée à l’Etat Providence.

Les aides et facilités sont certes nécessaires dans un premier temps, mais on doit veiller à ce que ces jeunes promoteurs apprennent aussi les vertus du travail et de l’effort et comptent aussi beaucoup sur eux-mêmes. Car l’Etat, déjà très endetté, et qui doit faire face à d’immenses besoins budgétaires, ne peut pas continuer indéfiniment à s’endetter pour combler ses déficits publics.

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