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Jalel Mziou : « La TVA à 13% a plongé l’immobilier tunisien dans l’incertitude »

Le secteur immobilier tunisien fait face à des turbulences sans précédent. Depuis l’instauration controversée d’une TVA de 13% en 2018, la filière peine à maintenir son dynamisme, entre incertitudes fiscales, coûts croissants et perte de confiance des acquéreurs. Jalel Mziou, vice-président de la Chambre syndicale des promoteurs immobiliers, alerte sur une situation critique qui risque de s’aggraver avec le projet de loi de finances 2025, menaçant de porter la TVA à 19%. Dans une interview accordée à L’Economiste Maghrébin, il appelle à des réformes audacieuses pour stabiliser les prix, faciliter l’accès au crédit et garantir la survie des promoteurs formels face aux pressions du marché.


Pourriez-vous nous donner un aperçu de l’état actuel du secteur immobilier en Tunisie ?

Comme vous le savez, le secteur immobilier en Tunisie traverse une période critique, et cela ne date pas d’hier. Cette crise persiste depuis l’introduction de la TVA de 13% en 2018. En réalité, ce n’est pas la TVA en soi qui pose problème, mais plutôt la manière dont elle a été instaurée. Lors de son introduction, le secteur s’est retrouvé dans une situation de grande incertitude. La loi exigeait que la TVA soit facturée aux clients sans possibilité de récupérer le crédit de TVA sur les projets, une nouveauté pour un secteur jusque-là exempté de cette taxe. Cela a plongé le secteur dans la confusion pendant près d’un an.

Face à cette situation, la Chambre nationale syndicale des promoteurs immobiliers a saisi la justice. Après un an de procédures, elle a obtenu gain de cause, permettant aux promoteurs de récupérer la TVA.

Durant cette période d’incertitude, chaque promoteur facturait la TVA différemment, certains à 6%, d’autres à 13%, ce qui a causé une perte de confiance des clients et un ralentissement du marché. Depuis, de nombreux promoteurs ont quitté le secteur, et les clients, craignant de supporter seuls le coût de cette TVA de 13%, sont devenus plus réticents, bien qu’ils ne supportent en réalité que 4 à 6% de cette taxe, le reste étant absorbé par les promoteurs.

Il est important de noter que 90% des promoteurs achètent leurs terrains sans TVA et que les coûts financiers ne sont pas soumis à la TVA. Ainsi, environ 40% des coûts d’un projet immobilier ne sont pas affectés par la TVA (terres et frais financiers), mais la vente finale est soumise à une TVA complète, créant un déséquilibre. Lors de réunions avec le ministère de l’Équipement et de l’Habitat, il a été acté que la hausse du prix des logements pour les consommateurs ne devrait pas excéder 4%.

De plus, le secteur de la promotion immobilière bénéficiait autrefois de certains avantages fiscaux, notamment une exonération de TVA, qui a maintenant disparu. Un autre avantage concernait l’enregistrement des biens immobiliers pour les clients, initialement taxé à 1%, un taux qui a depuis été augmenté par paliers. La coexistence de la TVA et des frais d’enregistrement est problématique. Dans d’autres pays, les biens immobiliers ne sont pas soumis à deux taxes différentes.

Aujourd’hui, le secteur est privé de cet enregistrement à taux fixe de 1% ; il est soumis à la TVA et ne bénéficie plus d’exonérations d’investissements. Cette situation décourage les promoteurs en règle qui exercent dans le cadre légal, tandis que certains opérateurs informels contournent les lois, échappant aux charges fiscales et sociales. Cela justifie mon appel à renforcer le positionnement des promoteurs agréés pour revitaliser ce secteur, qui est un moteur économique pour le pays.

Nous ne sommes pas opposés à l’instauration de la TVA, mais il est crucial de déterminer le taux approprié et d’adopter une approche réfléchie pour son application dans le secteur immobilier. Actuellement, le système de TVA tunisien comprend trois taux : 7 %, 13%, et 19%.

À votre avis, quel serait le taux de TVA idéal pour le secteur de la promotion immobilière ?

Le taux de TVA optimal pour notre secteur est de 7%. Ce chiffre ne représente pas simplement une revendication de la Chambre ; il est le résultat d’une étude réalisée en mars 2021 par le cabinet PwC, qui avait pour objectif d’analyser l’ensemble du secteur immobilier. Les conclusions de cette étude ont été présentées lors d’une réunion, en présence des représentants de la Banque centrale de Tunisie, du ministère des Finances et du ministère de l’Équipement et de l’Habitat, certains en présentiel, d’autres à distance.

L’étude repose sur un modèle dynamique capable d’intégrer diverses hypothèses et d’évaluer les impacts sur les investissements, l’emploi et le PIB, qui sont des éléments clés de l’économie. Elle propose aussi une ouverture progressive au marché étranger, avec un benchmarking par rapport à la France, le Maroc et le Portugal pour dégager des perspectives d’évolution. L’analyse porte sur plusieurs volets : la TVA, les frais d’enregistrement et le consommateur/acquéreur, qui est au cœur du processus de vente et pour lequel il est crucial de faciliter l’accès au crédit.

L’étude recommande que chaque Tunisien ait droit une fois dans sa vie à un crédit immobilier à taux fixe. À 12%, il est impossible d’obtenir un prêt de 200 000 dinars pour l’achat d’une résidence. L’initiative implique une coopération triangulaire entre le promoteur immobilier, l’acquéreur et la banque. Si l’acquéreur ne peut obtenir de financement, cela complique la situation pour le promoteur et la banque. Il est donc essentiel de faciliter l’accès au crédit pour les acheteurs, d’autant plus que la responsabilité de la hausse des prix ou de la politique de logement ne revient pas aux promoteurs. Dans l’immédiat, il faudrait libérer l’acquéreur des contraintes et lui offrir des solutions, comme un taux fixe financé par le fonds FOPROLOS, qui dispose annuellement de 250 millions de dinars. Cependant, ni la SNIT ni les promoteurs immobiliers ne s’engagent dans les projets financés par le FOPROLOS, qui n’est plus rentable et dont l’équilibre est malheureusement rompu.

Cela revient-il à dire que l’État doit jouer de nouveau un rôle social ?

Absolument. C’est à l’État d’agir, d’autant plus qu’il dispose de tous les éléments nécessaires pour prendre une décision. Je précise que cette étude a représenté un investissement financier important. La solution est claire : instaurer un taux fixe et mobiliser le fonds FOPROLOS pour combler la différence. Cependant, malgré plusieurs réunions avec les responsables du ministère de l’Équipement et de l’Habitat, ces discussions se sont interrompues, sans explication à ce jour.

Ces solutions prennent-elles en compte la baisse du pouvoir d’achat des Tunisiens ?

Oui, tout à fait. D’abord, il faut savoir que l’acquéreur potentiel paie souvent un loyer mensuel avoisinant 1 000 dinars, voire plus. Les mensualités de crédit seraient très proches de ce montant. Ainsi, au lieu de payer un loyer, l’acquéreur pourrait investir dans son propre bien immobilier. La formule de la location-vente a d’ailleurs permis à de nombreux Tunisiens de devenir propriétaires.

Pour cela, il faudrait inclure les biens immobiliers allant jusqu’à 500 000 dinars dans le mécanisme du FOPROLOS, mais cela nécessite une révision des conditions d’éligibilité. Actuellement, la demande dépasse l’offre de trois fois, selon le site immobilier Mubawab. Parmi les raisons de l’échec du projet Maskan Awal, figure un taux d’intérêt trop élevé, insoutenable pour de nombreux Tunisiens, malgré un mécanisme d’autofinancement prévu par l’État.

Quand on regarde le profil des acquéreurs actuels, on constate qu’il s’agit majoritairement de Tunisiens résidant à l’étranger, d’étrangers ou de personnes issues de familles aisées, ainsi que de banquiers bénéficiant de taux préférentiels autour de 3%.

Nous n’inventons rien, ces solutions existent déjà ailleurs. En France, par exemple, certains prêts immobiliers sont même accordés à taux zéro, couvrant les frais de notaire et d’enregistrement.

La Tunisie est actuellement en position de mettre en œuvre des solutions innovantes pour revitaliser le secteur immobilier. Si le fonds FOPROLOS ne dispose pas des ressources nécessaires, nous avons suggéré d’introduire une taxe de 1% sur le chiffre d’affaires des promoteurs immobiliers, qui serait reversée au FOPROLOS. Cette initiative serait avantageuse pour tous : une faible taxe en échange d’une clientèle solvable. Il suffirait de réunir des experts pour transformer ces idées en actions concrètes.

Dans la même optique, l’AFH devrait aussi jouer un rôle en préparant des lots de terrains adaptés à tous les profils. Au Maroc, par exemple, le gouvernement a construit des cités destinées à toutes les catégories sociales, du chauffeur d’autobus aux hommes d’affaires, rompant ainsi avec la pratique de séparer les cités par corps de métier. Cette approche intégrative n’a rien d’utopique ; elle nécessite un changement de paradigme et d’approche, l’ancien modèle ayant servi l’époque de feu Habib Bourguiba, aujourd’hui dépassé.

Une idée reçue veut que les promoteurs immobiliers achètent des terrains de l’État à des prix dérisoires, voire symboliques.

Ce n’est pas exact : ils achètent leurs terrains auprès de l’AFH, qui a été créée pour garantir des prix abordables et un certain équilibre sur le marché. Malheureusement, cette agence est devenue elle-même source de spéculation, contribuant à la hausse des prix avec sa politique de vente aux enchères. Si l’AFH fournissait des terrains à des prix raisonnables aux promoteurs, ces derniers n’auraient pas besoin de recourir aux prix élevés, ce qui se traduirait par des logements plus abordables pour les acheteurs.

L’État doit absolument soutenir les promoteurs agréés, car sans cet appui, le secteur informel finira par dominer le marché de la construction, ce qui serait catastrophique. Le secteur formel est soumis à de nombreuses régulations et contrôles de qualité, un cadre essentiel pour construire un immobilier de qualité. Parmi les composantes du coût, le prix du terrain est le seul élément réellement maîtrisable, et cela pourrait être fait par le biais de l’AFH. Réduire la taille des appartements pour diminuer les coûts ne convient pas aux préférences des Tunisiens, qui valorisent les grands espaces. De même, utiliser des matériaux de qualité inférieure aurait des effets néfastes à long terme sur la durabilité des bâtiments et ne correspondrait pas aux bonnes pratiques du secteur.

Le projet de loi de finances 2025 prévoit un impôt de 19% sur les ventes de biens immobiliers résidentiels construits par les promoteurs. Quelle est votre opinion sur cette mesure ?

Si cette TVA est adoptée, elle risque de causer des ravages. Elle aura des effets dévastateurs sur l’emploi, le PIB et l’investissement. Pour ma part, j’envisage de finaliser mon projet actuel puis de quitter le secteur, comme beaucoup d’autres promoteurs, car cette mesure du PLF 2025 nous plonge dans une incertitude totale. Avec une telle taxe, la demande pour les biens de standing moyen – autrefois notre priorité – ne pourra pas suivre. Seul le très haut standing pourrait peut-être survivre.

Si cette tendance continue, il ne restera plus que quelques promoteurs influents, capables de dominer le secteur en écrasant toute concurrence et en imposant leurs prix. Cette situation, bien que non voulue, aboutira à une concentration du marché entre les mains de quelques personnes puissantes. Il est donc crucial que plusieurs ministères et des économistes se réunissent pour examiner ce sujet et évaluer ses conséquences.

Aujourd’hui, les promoteurs peinent à maintenir leur activité et à dégager des bénéfices. Pour illustrer la différence, en 2014, l’État délivrait environ un agrément et demi par jour, témoignant d’un secteur en plein essor. De plus, le nombre d’autorisations de construire a considérablement chuté, un indicateur alarmant de la situation. Il est urgent de mieux réglementer le secteur. Il est absurde qu’un capital de seulement 150 000 dinars soit suffisant pour devenir promoteur immobilier, alors qu’une telle somme ne permet même pas d’aménager un bureau.

La situation nécessite donc une action rapide ?

Absolument, il est urgent de fixer une TVA à 7% pour le secteur, d’établir un taux de crédit fixe de 3% ou 5%, de réformer le FOPROLOS et d’engager des concertations avec l’AFH.

Cette interview est disponible dans le numéro 906 de L’Économiste Maghrébin, du 6 au 20 novembre 2024, actuellement en vente dans les kiosques

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