«Le génie tunisien». Ce n’est pas une formule de propagande ou un slogan vide de sens. Le génie tunisien est une réalité qui s’impose dans chaque succès tunisien, ici et ailleurs.
Il ne reconnaît pas les frontières. Cette fois, il s’impose là où personne ne l’attend !
La Presse — Quand on parle de génie tunisien, on pense rarement aux hiéroglyphes. Et pourtant, Taoufik Ilaoui, l’unique égyptologue tunisien et maghrébin, vient rappeler que la Tunisie continue de produire des esprits capables de dialoguer avec l’Histoire, s’imposant auprès des grandes références internationales. Il nous était impossible de laisser passer son séjour estival en Tunisie sans le rencontrer…
Les écritures, matrices des civilisations !
Taoufik Ilaoui nous a fait une fleur, celle de nous confier qu’il consacre actuellement toute son énergie à un nouvel ouvrage : «De geschiedenis van de wereld » (L’Histoire du Monde). Entre les recherches sur terrain, les analyses linguistiques et les rayons des bibliothèques, il façonne patiemment une œuvre ambitieuse d’environ 400 pages, qui entend revisiter l’histoire universelle à travers le prisme des langues anciennes, en faisant dialoguer inscriptions et manuscrits.
Un travail d’orfèvre où l’érudition se nourrit des fouilles archéologiques, où la mémoire des civilisations se déploie dans toute sa profondeur. Taoufik Ilaoui ambitionne de proposer une autre lecture de l’Histoire, une véritable fresque historique, en se basant sur l’écriture sumérienne, l’écriture proto-germanique, l’écriture oghamique, le vieil gaélique, l’égyptien ancien, le sankrit, le chinois ancien, l’écriture hiéroglyphique maya et bien d’autres témoignages des grandes civilisations aujourd’hui disparues.
Les fins fils d’un nouveau récit universel assez original seront donc tissés par ce Tunisien maître dans le décryptage des signes anciens, défiant siècles et millénaires.
Chaque vestige, chaque inscription, chaque manuscrit déterré ou relu éclairera une facette oubliée de notre passé commun, donnant à ce projet une portée à la fois scientifique, mais surtout, profondément humaine.
Du Kef à Leiden : le parcours d’un maître des hiéroglyphes…
Si «De geschiedenis van de wereld » promet de captiver lecteurs et chercheurs, il invite également à se pencher sur la trajectoire unique de Taoufik Ilaoui, le seul égyptologue tunisien et maghrébin reconnu à l’international, dont la passion pour les civilisations anciennes n’a de limite aucune.
Taoufik Ilaoui. Peu de gens connaissent ce nom en Tunisie. Pourtant il est reconnu à l’international, pour ses travaux et approches de vulgarisation ainsi que sa maîtrise des hiéroglyphes, faisant de lui une voix connue et respectée dans les cercles de l’égyptologie contemporaine, surtout dans les contextes néerlandophones et arabophones.
Taoufik Ilaoui est né à El Kalaa el Khessba en 1963. Il a effectué sa scolarité à Terjerouine puis au Kef. Une fois le baccalauréat en poche, il s’envole aux Pays-Bas. Dès son arrivée, il entreprend un cursus poussé en néerlandais, ce qui lui permettra, quelque temps après, de s’inscrire à l’Université de Leiden —non loin de La Haye— pour poursuivre des études en Histoire ancienne.
Fasciné dès l’enfance par les pyramides et les mystères qui l’entourent, il oriente naturellement ses recherches vers l’égyptologie et se spécialise dans l’écriture hiéroglyphique au Huub Pragt Egyptoloog (Centre du Dr. Praagt). Après six ans d’études, il développe sa maîtrise du grec et du latin avec le pr Schroeuder à l’Université de Leiden.
Aujourd’hui, Taoufik Ilaoui se présente comme égyptologue, enseignant en hiéroglyphes égyptiens à Leiden et à Hilversun, conférencier, auteur et membre du Museum Het Spinozahuis (Musée de la Maison Spinoza) et du Rijksmuseum van Oudheden (Musée national des Antiquités).
Il est, par ailleurs, une figure culturelle active aux Pays-Bas et une personnalité très bien introduite dans les cercles culturels et même politiques. Taoufik Ilaoui maîtrise l’arabe, le néerlandais, le français, l’anglais et l’italien, ceci est sans compter les langues classiques et anciennes. Ce plurilinguisme constitue pour lui un atout considérable dans le champ de l’égyptologie contemporaine et lui confère un pouvoir de communication incontestable.
Des bancs d’école aux bibliothèques du Monde…
Comme auteur, il a signé « Hiërogliefen» (2012), «The language of Pharahos» (2014 –co-écrit avec Corneilus Pragt), «The civilization of Egypt» (2016) et «Hospital of the soul» (2017). Ses livres sont principalement disponibles dans les grandes bibliothèques des Pays-Bas, de Belgique, du Luxembourg, de Tunisie et d’Egypte, ont été présentés dans de prestigieuses institutions muséales et académiques et leur publication a connu un écho important dans les cercles des spécialistes, mais également auprès du large public.
Mais notre égyptologue passionné est particulièrement fier de son dernier opus «Hospital of the soul» (L’hôpital de l’âme), écrit en latin, en grec, en hiéroglyphes et traduit à l’anglais. Un ouvrage de philosophie et de sagesse anciennes qui prône la paix, l’amour et le vivre-ensemble.
Le souhait de l’auteur était que son livre, à portée universaliste, «inspire les jeunes et les générations futures à vivre une existence sereine, débarrassée de la haine, de l’envie, de l’arrogance, de la cupidité et, surtout, de la guerre ». Cet ouvrage a été intégré aux précieuses collections de la prestigieuse Peace Palace Library, laquelle constitue la plus grande source documentaire de la Cour de Justice internationale, de la Cour permanente d’arbitrage et de l’Académie de Droit international.
Il figure également dans les collections de la Bibliothèque royale des Pays-Bas (Koninklijke Bibliotheek), de la Bibliotheca Alexandrina en Égypte, de la bibliothèque de la Ligue arabe des Etats arabe, dans plusieurs ambassades, etc. Ces présences à forte valeur symbolique attestent d’une grande reconnaissance et confèrent un prestige incontestable à Taoufik Ilaoui et à son travail.
Avec beaucoup d’émotion, il nous raconte sa fierté de voir sa photo juste au-dessus de celle de Gandhi, son idole, sur le fil Instagram de la Peace Palace Library (voir capture d’écran). Mais avec toute cette fierté, même avec tous ses accomplissements, il nous confie, avec une humilité déconcertante, qu’il est en perpétuel apprentissage, qu’il lui reste beaucoup de choses encore à découvrir…
De la reconnaissance…
A travers son parcours exceptionnel, sa grande discipline, sa rigueur, son dévouement, son engagement et son sens de l’éthique, Taoufik Ilaoui a réussi à assoir une grande notoriété en Occident et dans les pays du Golfe en particulier. En 2024, il a reçu des distinctions de la part de Son Excellence le prince Sayyed Mohamed Ben Hareb Ben Abdallah Al Said, ambassadeur du Sultanat d’Oman aux Pays-Bas de l’époque ainsi que de S. E. Khaled Fahad Al-Hajri, ambassadeur du Qatar en Belgique.
Ce dernier lui rendra encore un autre hommage fin septembre prochain, juste avant la fin de son mandat à Bruxelles, parce qu’il considère l’égyptologue tunisien comme « la fierté de tout le Monde arabe !».
Fidèle à ses racines et profondément attaché à son pays, Taoufik Ilaoui n’a jamais oublié la terre qui l’a vu naître, et chaque rencontre avec lui rappelle combien son attachement à la Tunisie reste vivant et inspirant. Il a présenté, à titre gracieux et avec une très grande générosité intellectuelle, plusieurs conférences et a offert ses livres à de nombreuses bibliothèques et institutions tunisiennes.
Salué et distingué à l’international, Taoufik Ilaoui ne cache pas une certaine déception de n’avoir jamais été honoré dans son propre pays. Certes, il a été reçu par M. Mohamed Salah Ben Aissa, directeur du Centre de la Ligue des Etats arabes ainsi que par les ministres successives des Affaires culturelles Mme Hayet Ketat Guermazi et Mme Amina Srarfi, mais encore aucune distinction officielle ne lui a encore été attribuée… «Je me sens étranger chez moi », nous confie-t-il non sans amertume.
Une mémoire en construction…
Une amertume qui ne l’empêche pas de se projeter vers l’avenir. Taoufik Ilaoui nourrit déjà un nouveau projet : rédiger son autobiographie, pendant que son fils Haydar nourrit à son tour le projet de relater la vie de son père, signe que le parcours de ce dernier ne cesse d’inspirer même les plus proches.
Ce double témoignage promet de livrer un regard intime et pluriel sur un parcours hors du commun. Car Ilaoui n’est pas seulement un passionné d’égyptologie et des hiéroglyphes : il s’impose aussi comme un passeur de savoirs, un traducteur des héritages antiques vers notre présent et un témoin vigilant de la place des langues et des civilisations dans l’histoire universelle. Un rôle qui confère à son œuvre, au-delà de la recherche et de la vulgarisation d’un domaine pointu, une véritable portée humaniste et universelle.
Asma ABASSI