Coopération scientifique tuniso-suisse : Des projets concrets au service de l’avenir
À l’occasion d’un déjeuner organisé récemment par l’ambassade de Suisse en Tunisie, journalistes et acteurs du monde scientifique tunisien ont pu échanger autour d’un thème porteur d’avenir : la coopération scientifique entre la Tunisie. L’événement, marqué par la présence de l’ambassadeur de Suisse en Tunisie, son excellence M. Josef Renggli, a offert un panorama concret et stimulant de la richesse des projets conjoints entre les deux pays, mais aussi un aperçu des mécanismes de soutien que la Suisse met en place pour renforcer les liens universitaires et scientifiques avec la Tunisie.
Un pays profondément investi dans la recherche
La Suisse n’a pas volé sa réputation de pôle d’excellence scientifique. Avec près de 3,4 % de son produit intérieur brut (PIB) consacré à la recherche et au développement (R&D), elle figure parmi les pays les plus investis dans ce domaine à l’échelle mondiale. Plus remarquable encore : plus des deux tiers de ces dépenses sont assurés par les entreprises privées, preuve de l’intense interaction entre le tissu économique et les institutions de recherche financées par des fonds publics.
Les écoles polytechniques fédérales (comme l’EPFL et l’ETH Zurich), les universités cantonales et les hautes écoles spécialisées constituent l’ossature du système de recherche suisse, reconnu internationalement pour la qualité de ses publications, ses innovations technologiques et ses contributions majeures aux grands défis scientifiques de notre époque.
Une coopération bilatérale soutenue et structurée
Dans ce contexte, la coopération scientifique entre la Suisse et la Tunisie s’est fortement intensifiée ces dernières années. Elle s’appuie sur deux grands programmes phares portés par la Confédération. On cite tout d’abord “Excellence in Africa”, un programme de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), visant à renforcer les capacités scientifiques et à soutenir les talents sur le continent africain. Il y a aussi “Leading House MENA”. Ce programme bilatéral spécifique, dédié à la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, favorise les échanges entre chercheurs, institutions et centres d’innovation.
Ainsi, à travers ces dispositifs, près d’une vingtaine de projets de coopération scientifique ont vu le jour entre la Tunisie et la Suisse. Des projets ancrés dans des thématiques variées, allant des sciences exactes à l’éducation, en passant par l’agriculture, l’environnement, la santé ou encore les sciences sociales.
Des projets tuniso-suisses qui transforment la recherche… et la réalité
La coopération scientifique entre la Tunisie et la Suisse ne se limite pas à des échanges théoriques : elle se matérialise par des projets innovants, ancrés dans les besoins du terrain, portés par des équipes pluridisciplinaires et orientés vers l’impact.
L’un des projets phares est celui du radiomarquage au technétium-99m (Tc-99m) de nanocorps ciblant la ténascine-C, une protéine de la matrice extracellulaire fortement exprimée dans divers tissus cancéreux. Balkiss Bouhaouala-Zahar, chercheuse à l’Institut Pasteur de Tunis, a développé des nanocorps hautement spécifiques contre cette cible, tandis que Martin Behe, au Paul Scherrer Institut (PSI) en Suisse, a mis au point une méthode stable de radiomarquage utilisant le complexe Tc-99m-carbonyle.
Ce partenariat allie savoir-faire tunisien en biotechnologie et expertise suisse en imagerie nucléaire, avec l’objectif de produire un traceur radiopharmaceutique innovant pour des essais précliniques in vitro et in vivo. Un chercheur tunisien séjournera au PSI pour maîtriser la méthode, avant de la transférer en Tunisie pour les phases expérimentales. À terme, ce projet pourrait aboutir à des applications cliniques dans le diagnostic précoce des cancers.
Autre collaboration exemplaire, le projet FOYER – Fostering Self-Competencies in Tunisian Youth Centers, porté par Nada Najjar (Université de Tunis), en partenariat avec la Pädagogische Hochschule Zürich (PH Zürich) représentée par Wiltrud Weidinger et Samir Boulos, ainsi que l’association tunisienne iiDebate fondée par Elyes Guermazi.
Ce projet pilote, mis en œuvre au centre des jeunes de Jdaida (gouvernorat de la Manouba), vise à renforcer les compétences sociales, l’estime de soi et la résilience des jeunes, dans un contexte national marqué par l’instabilité économique et politique. L’intervention repose à la fois sur la formation des éducateurs à la pédagogie des compétences de vie, et sur la mise en place d’ateliers pour les jeunes eux-mêmes. Une étude scientifique accompagne le processus afin d’évaluer l’impact réel et d’adapter le modèle à d’autres centres à l’échelle nationale.
Dans le domaine de l’éducation numérique et de la science ouverte, un consortium international piloté par Barbara Class de l’Université de Genève, en collaboration avec Lilia Cheniti Belcadhi de l’Université de Sousse, a mené un travail remarquable de cartographie des compétences du “chercheur ouvert”. Aux côtés d’universitaires du CERIST (Algérie), de l’Université d’Alexandrie (Égypte) et de l’Université Mohammed V de Rabat (Maroc), ils ont développé un outil numérique open source appelé “Open Scholar Atelier”.
Cet atelier virtuel, conçu comme un outil d’auto-évaluation, permet aux enseignants-chercheurs de mesurer et renforcer leurs compétences en science ouverte, éducation ouverte et engagement communautaire. Ce projet a également permis à une étudiante tunisienne de l’Université de Sousse de réaliser son mémoire d’ingénieur à travers un stage de recherche appliquée, démontrant la dimension formatrice et transnationale du programme.
Dans le domaine des sciences de la Terre, la Tunisie bénéficie d’une collaboration inédite avec l’Institut suisse de spéléologie et de karstologie, porté par Marc Luetscher et Eric Weber, en lien avec l’Office National des Mines (ONM), représenté par Moez Mansoura, Foued Souissi et Maryem Zribi, ainsi que l’Université Northumbria au Royaume-Uni.
Le projet, situé à Djebel Serdj, au cœur d’un réseau spéléologique complexe, consiste à numériser en 3D d’anciennes mines abandonnées grâce à la technologie LiDAR portable. Ces relevés servent plusieurs objectifs dont : préserver un patrimoine géologique méconnu, comprendre la formation des gisements plomb-zinc liés aux systèmes karstiques, prévenir les risques d’effondrement de cavités et évaluer l’impact des activités minières sur la qualité des eaux souterraines.
L’intégration de données historiques et de technologies de pointe permet également de valoriser ce patrimoine auprès du public, en facilitant la médiation scientifique.
Un programme de bourses d’excellence très prisé
En complément de ces initiatives institutionnelles, la Suisse soutient en outre l’émergence de jeunes talents scientifiques en Tunisie. Chaque année, au début du mois d’août, l’ambassade de Suisse à Tunis lance un appel à candidatures pour des bourses d’excellence, destinées aux doctorantes de toutes disciplines.
“La sélection des candidats repose sur la qualité de leurs projets et sur leur capacité à tisser des partenariats avec des universités suisses”, explique Monia Riahi, chargée de la coopération scientifique à l’ambassade. Ces bourses, très sélectives, permettent aux lauréats de mener leur doctorat dans des institutions prestigieuses comme l’EPFL, l’Université de Genève ou encore l’Université de Lausanne.
Par ailleurs, l’un des traits distinctifs de la stratégie suisse est son écosystème intégré de l’innovation, où recherche publique et initiative privée coexistent et coopèrent étroitement. Cette synergie, que la Suisse cherche à partager avec ses partenaires internationaux, permet de transformer les résultats de la recherche en solutions concrètes et en applications technologiques, économiques et sociales.
En Tunisie, cette approche trouve un terrain fertile, grâce à un vivier important de chercheurs, d’ingénieurs, d’enseignants-chercheurs et d’étudiants désireux de s’ouvrir à l’international, de co-construire des projets d’avenir et d’accéder à un réseau de coopération d’excellence.
Ainsi, au-delà des projets en cours, la dynamique engagée entre la Tunisie et la Suisse s’inscrit dans une vision à long terme. L’ambassade de Suisse à Tunis souhaite faire de la coopération scientifique un pilier fort de la relation bilatérale, au même titre que les échanges économiques ou culturels.