La Presse — La lutte contre le trafic illicite ne peut être efficace sans une coopération étroite entre les administrations douanières et les entreprises. C’est dans cet esprit que l’École nationale des douanes, en partenariat avec Philip Morris International, a organisé, lundi 2 juin, un nouveau séminaire opérationnel destiné à former ses agents aux nouveaux défis posés par la fraude commerciale.
Le but de cet événement est de former les autorités de contrôle aux nouvelles techniques de ciblage et de sélection afin de mieux appréhender les nouveaux courants de fraude et notamment liés aux trafics de cigarettes (contrebande, contrefaçon, illicite white, etc.)
Coopération public-privé : un levier pour une douane plus efficace et moderne
En ouverture officielle de ce séminaire, le Colonel-Major Abdelhakim Abidi, Directeur général de l’École nationale des douanes, a mis en lumière l’importance stratégique de la coopération entre le secteur public et les partenaires privés, notamment Philip Morris International, dans le renforcement des capacités nationales de prévention, de détection et de répression.
«Ce séminaire, organisé pour la sixième fois en partenariat avec PMI depuis avril 2014, témoigne d’une collaboration durable dans le domaine de la formation spécialisée. Cette relation est aujourd’hui historique, avec des actions communes menées en 2014, 2019, 2021, 2024, et en mai 2025. Elle reflète notre engagement commun pour la modernisation de la douane tunisienne», a souligné M. Abidi.
Il a ajouté que la conférence a aussi pour objectif de former les cadres de l’administration centrale et les agents des douanes à la lutte contre les diverses formes de trafic illicite : drogue, tabac, espèces protégées, biens culturels, contrefaçon, immigration clandestine, déchets dangereux, et même financement du terrorisme. Elle repose sur l’échange d’expertises, le développement d’outils analytiques et l’usage de technologies de pointe.
M. Abidi n’a pas manqué aussi de rappeler que ces formations s’inscrivent également dans le cadre du facteur 10 de la Déclaration d’Arusha révisée de l’OMD, qui recommande une coopération étroite entre les administrations douanières et les entreprises privées pour garantir intégrité, transparence et efficacité dans les opérations douanières.
«Le trafic illicite constitue une menace grave pour notre économie, notre sécurité nationale, notre environnement, mais aussi pour l’intégrité de nos institutions», a-t-il averti, tout en insistant sur le fait que les réseaux criminels s’adaptent rapidement, profitant des failles systémiques et des innovations technologiques pour échapper au contrôle.
«Dans ce contexte, la formation continue des agents douaniers devient un levier essentiel et ce séminaire permet non seulement de consolider les compétences, mais aussi de bâtir une culture de vigilance et de coordination. Il s’agit aussi d’une chaîne d’action intégrée entre l’État, les entreprises et les acteurs de la société civile», a assuré le Directeur général, tout en appelant à intensifier ce type de coopération pour anticiper les nouvelles tendances de la fraude commerciale et renforcer la légalité du commerce national.
Main dans la main contre l’illicite
Pour sa part, M. Borhan Rachdi, Directeur général de Philip Morris Tunisia-Libya, a réaffirmé l’engagement de son entreprise dans la lutte contre le commerce illicite, notamment à travers un partenariat stratégique récemment signé avec l’École.
«Il y a trois semaines, nous avons signé une convention de partenariat avec l’École nationale des douanes afin de contribuer activement à la formation des futurs douaniers et à la montée en compétences des cadres existants», a déclaré M. Rachdi, tout en soulignant que la formation continue est un pilier essentiel pour faire face à des pratiques frauduleuses de plus en plus complexes.
Le responsable a ajouté que cette initiative s’inscrit aussi dans une stratégie globale visant à renforcer la coopération public-privé, en dotant les autorités de nouvelles techniques de détection et de prévention du commerce illicite, en particulier dans le secteur du tabac. «La baisse du commerce illicite de cigarettes, passé de 32,6 % à 25,6 %, témoigne des efforts soutenus de la douane tunisienne – une évolution que nous saluons vivement», a-t-il indiqué.
Cependant, le fléau reste préoccupant : il ne touche pas uniquement le tabac, mais s’étend à d’autres secteurs stratégiques de l’économie. Le manque à gagner fiscal pour l’État est considérable, et les produits illégaux présentent de graves risques pour la santé publique. «Nous ignorons ce que contiennent ces produits. Ils échappent à tout contrôle qualité et mettent en danger nos concitoyens», a averti le dirigeant.
Face à ce fléau, Borhan Rachdi a insisté sur le fait que la lutte contre l’illicite n’est pas la responsabilité exclusive de la douane, mais un effort collectif qui implique l’État, les industriels, les médias et la société civile. Il a aussi rappelé que le rôle du secteur privé est crucial dans l’élaboration de solutions durables, notamment en soutenant l’application de politiques fiscales cohérentes, la disponibilité de produits légaux et l’éducation des citoyens.
«Chez Philip Morris International, nous sommes fiers de contribuer à cette dynamique. Nous croyons fermement que c’est en travaillant main dans la main que nous pourrons éradiquer durablement le commerce illicite et bâtir un environnement plus sûr, plus transparent et plus prospère», a-t-il assuré.
25,6 % de marché illicite en Tunisie
Un avis partagé par Philippe Van Gils, Directeur Illicite Trade Prevention SSEA CIS MEA, qui a alerté sur l’ampleur du marché illicite des cigarettes, tant à l’échelle mondiale qu’en Tunisie.
«Le commerce illicite des cigarettes représente entre 14 et 15 % de la consommation mondiale, soit plus d’un produit sur dix consommé dans le monde. Cela équivaut à un manque à gagner de près de 50 milliards de dollars pour les gouvernements, une somme comparable au PIB tunisien», a déclaré M. Van Gils, soulignant que ces ressources tombent dans les mains d’organisations criminelles au détriment du développement économique des États.
Pour la Tunisie, l’expert a indiqué que le marché illicite est estimé à 25,6 %. Mais après une baisse historique, la pandémie de Covid-19 a ravivé les circuits illégaux, les deux régies nationales ayant rencontré des difficultés d’approvisionnement. Toutefois, une tendance à la baisse a été observée depuis 2024.
Face à cette situation, Philippe Van Gils a insisté sur la nécessité de renforcer les contrôles au niveau des points de vente, notamment pour les nouveaux produits nicotiniques comme la cigarette électronique. «Il n’existe toujours pas de cadre légal encadrant la commercialisation des cigarettes électroniques en Tunisie», a-t-il déploré, évoquant le risque que ces produits, souvent attractifs pour les jeunes, échappent à toute régulation.
Selon lui, l’introduction de normes sur la composition, la teneur en nicotine et le design de ces produits permettrait aux douaniers de disposer d’une liste positive d’acteurs et de produits autorisés sur le marché.
«La lutte contre le commerce illicite commence aux frontières, avec nos partenaires douaniers… C’est pourquoi nous sommes heureux de contribuer à cette formation technique, qui renforce les capacités des agents tunisiens dans ce domaine stratégique», a encore précisé Philippe Van Gils.