La 41e édition du Salon de la Création Artisanale, qui s’est tenue du 23 mai au 1er juin 2025 au Parc des Expositions du Kram, a baissé ses rideaux hier, s’imposant comme un rendez-vous incontournable pour les passionnés de patrimoine et d’authenticité. Au-delà de son succès populaire, cette édition exceptionnelle a surtout marqué un tournant dans la manière dont l’artisanat tunisien se modernise tout en valorisant ses racines.
La Presse — Même si les chiffres définitifs ne sont pas encore disponibles, le succès de cette 41e édition ne fait aucun doute. Près de 1.000 exposants ont investi les lieux, répartis sur une vingtaine d’espaces thématiques, illustrant toute la diversité des savoir-faire artisanaux du pays. Du nord au sud, en passant par le Cap Bon, le Sahel, Kairouan ou encore Mahdia, toutes les régions ont répondu à l’appel, chacune mettant en lumière son identité et son patrimoine.
Le public, lui aussi, était au rendez-vous. Loin de se limiter aux week-ends, l’affluence a été massive tout au long de la semaine, signe d’un engouement profond des Tunisiens pour leur artisanat.
Innover pour mieux durer
Ce qui a particulièrement marqué cette édition, c’est la volonté affirmée de moderniser l’artisanat sans en trahir l’essence. Finis les produits aux finitions approximatives ou trop figées dans le passé, les créateurs ont cette année misé sur la qualité, la finesse et le souci du détail, répondant aux exigences croissantes d’un public aussi bien national qu’international.
Tenues traditionnelles revisitées, objets de décoration repensés, matériaux traditionnels travaillés avec des techniques contemporaines… L’artisan tunisien ne se contente plus de reproduire l’héritage, il le réinvente. Un effort salué par tous, et qui témoigne d’un changement profond dans la dynamique du secteur. En se réinventant, l’artisanat doit aussi parvenir à épouser les tendances du moment, en adaptant ses créations aux couleurs et aux styles en vogue de l’année, voire aux rythmes saisonniers ou événementiels.
Un avenir prometteur
En misant sur la transmission, la qualité et l’audace créative, l’artisanat tunisien s’offre ainsi une nouvelle jeunesse. Et cette 41e édition du Salon de la création artisanale en a été bien plus qu’une vitrine : elle a été une scène vibrante où le passé et l’avenir se sont donné la main. Chaque objet exposé, chaque étoffe brodée, chaque pièce de céramique portait en elle l’écho d’un geste ancien, transmis avec patience, mais aussi le souffle d’une nouvelle génération décidée à faire de cet héritage un tremplin vers l’innovation.
Dans les allées du Salon, on pouvait lire dans les regards des visiteurs – enfants curieux, parents nostalgiques, touristes émerveillés, jeunes futures mariées préparant leur trousseau ou maîtresses de maison en quête d’un objet unique – une même fierté. Fierté de voir que notre artisanat, loin de s’éteindre, se réinvente. Qu’il ne se contente plus de survivre, mais qu’il aspire à rayonner.
Expériences inspirantes
Et cette vitalité, cette capacité à se réinventer sans se renier, n’est pas propre à la Tunisie. D’autres pays, à travers le monde, ont su eux aussi tracer ce chemin exigeant entre fidélité aux racines et ouverture au présent. Le Japon, par exemple, a érigé certains de ses maîtres-artisans au rang de «Trésors nationaux vivants», valorisant un artisanat d’exception tout en le reliant à la création contemporaine. Grâce à des collaborations entre designers et artisans, les savoir-faire traditionnels y trouvent de nouvelles formes d’expression, mêlant exigence esthétique et utilité moderne. En Italie, la synergie entre artisanat, design et industrie du luxe constitue un modèle abouti. Le label Made in Italy incarne à la fois la fidélité aux traditions régionales et une capacité remarquable d’innovation. Le Maroc, de son côté, a fait de l’artisanat un pilier de sa stratégie de développement, misant sur la formation, l’exportation intelligente et des politiques publiques soutenues pour relier tradition et marché international.
Au Mexique, enfin, l’artisanat traditionnel, porté par les cultures indigènes, connaît un véritable renouveau grâce à des initiatives qui favorisent son insertion dans les marchés contemporains, tout en respectant les identités culturelles locales. Tous ces exemples montrent qu’il est possible de concilier ancrage et renouvellement, transmission et transformation. Encore faut-il que notre artisanat ait les moyens d’exister pleinement sur les scènes internationales, à commencer par les grandes manifestations mondiales.
Or, dans les salons internationaux, quel que soit le secteur, les stands tunisiens peinent encore à affirmer une identité forte. Trop souvent, ils passent inaperçus, sans véritable signature culturelle. Ni décoration pensée pour marquer les esprits – en dehors de quelques affiches de dattes, d’huile d’olive ou de paysages –, ni pâtisseries traditionnelles proposées aux visiteurs, ni objets symboliques à offrir, à l’image de la chéchia. Aucun bijou, aucune étoffe, aucun objet porteur de récit, de mémoire ou d’un art de vivre à la tunisienne. Pourtant, chaque manifestation à l’étranger est une vitrine. Il est temps que toutes nos participations à ces événements deviennent autant de porte-drapeaux de notre tunisianité. Cela suppose un effort transversal, coordonné entre institutions, artisans, ministères et opérateurs, pour faire de chaque stand une enseigne vivante de la Tunisie. Pour ce faire, les démarches administratives doivent être simplifiées, les moyens mutualisés, la vision partagée. Car faire rayonner la Tunisie à l’international, c’est lui donner une présence, une âme, une voix claire sur la scène du monde.
Un héritage entre protection et rayonnement
Ainsi, en renouant avec ses racines tout en regardant résolument vers l’avenir, l’artisanat tunisien ne se contente plus de survivre, il s’affirme. Pilier d’identité, de créativité et de résilience économique, il devient le reflet d’un pays qui doute parfois, mais ne renonce jamais. Cette 41e édition du Salon en a été la preuve éclatante. Derrière chaque tissage, chaque poterie, chaque broderie, il y avait plus qu’un objet, mais un geste habité, un héritage vivant, une volonté d’aller plus loin. Transformer notre patrimoine en levier d’avenir, faire du local une force et du traditionnel un moteur de renouveau, telle devrait être désormais l’ambition nationale.
Mais cette ambition suppose aussi de protéger nos savoir-faire contre toute forme d’appropriation extérieure — en les labellisant, en les encadrant juridiquement, et en les inscrivant chaque fois que possible au patrimoine immatériel de l’Unesco. Car défendre ce qui nous appartient, c’est aussi renforcer sa valeur et sa portée.
Et parce que cet héritage n’a de sens que s’il continue de vivre, d’évoluer et de rassembler, face aux incertitudes de notre époque, c’est l’ensemble de l’écosystème qui doit avancer.
De la main qui crée à celle qui transmet, de celle qui décide à celle qui soutient, ils avancent ensemble – artisans, créateurs, institutions, citoyens – portés par des racines solides et un avenir à construire.