Tunis a accueilli les 13 et 14 mai la Conférence annuelle des marchés de capitaux arabes et africains, réunissant plus de cent responsables de Bourses, régulateurs et acteurs financiers venus de vingt pays. Une première historique qui consacre la capitale tunisienne comme carrefour stratégique du dialogue interrégional.
La Presse — La capitale tunisienne s’est imposée, le temps de deux journées, comme le centre stratégique des marchés de capitaux arabes et africains. À l’occasion de la Conférence annuelle de la fédération arabe des marchés de capitaux (Afcm), organisée les 13 et 14 mai, plus d’une centaine de dirigeants de Bourses, de régulateurs, d’institutions financières et d’acteurs du marché venus de plus de vingt pays se sont réunis à Tunis pour une rencontre inédite.
Cette édition marque une première dans l’histoire des relations financières interrégionales : jamais auparavant les représentants des deux blocs ne s’étaient rassemblés sur un même territoire pour dialoguer ensemble autour des grands enjeux économiques, financiers et technologiques de leur avenir commun.
La Bourse de demain se pense aujourd’hui
Bilel Sahnoun, Directeur général de la Bourse de Tunis, a mis en exergue la portée historique de cette conférence. Il a déclaré que la rencontre constitue un moment fondateur, car elle crée pour la première fois un cadre de dialogue direct entre les marchés arabes et africains. « Cette initiative représente une opportunité unique pour renforcer les liens, harmoniser les pratiques et ouvrir la voie à des formes de coopération concrètes face aux défis contemporains des marchés émergents », a-t-il souligné.
Selon lui, cette conférence permet aussi aux acteurs financiers des deux régions de discuter ensemble des thèmes d’actualité qui influencent leurs performances et de dessiner de nouveaux horizons pour leurs marchés respectifs.
Le DG de la Bourse de Tunis a ajouté que l’événement s’organise autour de huit panels thématiques traitant de sujets clés tels que le développement durable, les crédits carbone, l’intelligence artificielle, la finance inclusive, ainsi que l’innovation dans les instruments boursiers comme les produits indiciels ou les produits dérivés. L’un des sujets majeurs abordés est l’intégration de l’intelligence artificielle dans les plateformes boursières. Bilel Sahnoun a insisté sur la nécessité d’adapter les modèles d’investissement aux nouvelles attentes des jeunes générations, en particulier les générations « Z » et « Alpha », qui exigent des interfaces numériques intelligentes, interactives et personnalisées pour prendre leurs décisions financières.
Selon lui, les modèles traditionnels ne sont plus attractifs et doivent être repensés pour mieux correspondre aux usages technologiques de ces nouveaux profils d’investisseurs. Par ailleurs, Bilel Sahnoun a annoncé que la présidence de l’Union arabe des marchés de capitaux est désormais assurée par la Tunisie. Cette désignation marque une avancée majeure pour la Bourse de Tunis et traduit la reconnaissance de son rôle croissant dans la sphère régionale. Le directeur général a en outre exposé les grandes lignes de la feuille de route qui accompagnera cette présidence, précisant que la priorité sera donnée à la convergence des régulations entre les marchés arabes et africains. Cette harmonisation vise à faciliter l’interconnexion entre les Bourses et à offrir aux investisseurs une plus grande liberté d’action. Il a aussi évoqué l’organisation de roadshows dans différentes capitales, destinés à rapprocher les entreprises en quête de financement des investisseurs institutionnels et privés. Enfin, il a annoncé le lancement d’une nouvelle gamme de produits financiers, notamment les ETF (fonds indiciels cotés), les produits dérivés et les commodités, afin de répondre aux besoins d’une base d’investisseurs plus diversifiée.
Le directeur de la Bourse de Tunis a aussi réaffirmé l’engagement de son institution en faveur du développement durable, en rappelant la publication prochaine du rapport ESG, faisant suite à la diffusion en 2021 du Guide du reporting environnemental, social et de gouvernance. Il a mis en avant les efforts déployés pour diffuser une culture boursière auprès des chefs d’entreprise tunisiens et encourager les levées de fonds à travers des plateformes spécialisées, tout en soulignant l’importance de la bourse comme complément essentiel au financement bancaire.
Réformer pour investir : la BCT veut réveiller le marché financier tunisien
Prenant la parole lors de cette rencontre, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Fethi Zouhair Nouri, a souligné l’importance croissante de la finance de marché dans le financement de l’économie nationale. Il a fixé un objectif ambitieux : porter la contribution de la Bourse de Tunis à 30 % du financement de l’économie nationale dans les dix prochaines années, contre à peine 10 % actuellement. Pour le gouverneur, cette situation est insatisfaisante et ne reflète pas le potentiel réel de la place financière tunisienne. Il a rappelé que le cadre législatif du marché financier n’a pas été actualisé depuis 1994, ce qui constitue un frein à son attractivité pour les investisseurs étrangers et limite la diversité des instruments disponibles.
Tout en reconnaissant que le secteur bancaire tunisien demeure le principal levier du financement de l’économie, représentant 62 % du PIB via le crédit au secteur privé, un taux supérieur à celui de nombreux pays non producteurs de pétrole, le gouverneur a appelé à une répartition plus équilibrée entre les canaux de financement. Il s’est félicité de la solidité du secteur bancaire, renforcée par des réformes structurelles qui ont permis de consolider la gouvernance et d’améliorer la résilience des établissements. Il a cité les bons résultats en matière de rentabilité des capitaux propres, la maîtrise des risques de liquidité et la capacité des banques à soutenir la croissance économique à travers des mécanismes modernes et efficients.
Un levier pour une économie intégrée et durable
Dans la même optique, le ministre de l’Économie et de la Planification, Samir Abdelhafidh, a insisté sur le rôle stratégique du marché boursier en tant que levier de transformation économique. Il a souligné que la Bourse constitue une alternative crédible et innovante au financement bancaire classique, capable de s’adapter aux besoins spécifiques des entreprises selon leur taille, leur stade de développement ou leur secteur d’activité. Dans son allocution prononcée lors du 20e congrès des marchés financiers arabes, tenu en marge de la conférence, le ministre a évoqué la nécessité de renforcer le lien entre les entreprises et les opportunités de financement offertes par les marchés, dans l’objectif de favoriser une économie plus intégrée, plus compétitive et plus durable.
Il a ajouté que le développement des marchés financiers arabes et africains passe par une coopération technique approfondie, l’échange d’expériences et l’adoption d’approches réformatrices communes. Selon lui, les marchés de capitaux constituent un maillon fondamental de la chaîne de valeur économique et un levier puissant pour soutenir la création d’entreprises, l’industrialisation, l’innovation et la croissance inclusive. Le ministre a conclu en affirmant que les réformes financières et la mobilisation de l’épargne nationale sont deux priorités incontournables pour améliorer l’accès des entreprises au financement et renforcer la stabilité macroéconomique à long terme.
Construire un écosystème financier africain et arabe intégré
Pour sa part, Pierre-Célestin Rwabukumba, Directeur Général de la Bourse du Rwanda et Président de l’Association des bourses des valeurs africaines (Asea), a salué l’organisation conjointe de la conférence à Tunis. Il a rappelé que l’Asea, qui regroupe les principales bourses africaines ainsi que d’autres institutions financières telles que les dépositaires centraux, a signé, l’année dernière, un protocole d’accord avec la Fédération arabe des marchés de capitaux pour renforcer la coopération entre les deux régions. Selon lui, cette alliance vise à créer des synergies durables entre les marchés, à mutualiser les expertises et à bâtir une plateforme d’intégration régionale capable de peser sur la scène financière internationale.
Pierre-Célestin Rwabukumba a aussi insisté sur l’importance du dialogue interrégional pour surmonter les obstacles communs auxquels sont confrontées les places émergentes. Il a plaidé pour une plus grande coordination des politiques, la mutualisation des outils technologiques et le développement de produits financiers innovants susceptibles de dynamiser les volumes et d’attirer de nouveaux investisseurs. Selon lui, la Conférence de Tunis représente une étape clé dans la construction d’un écosystème financier africain et arabe plus intégré, plus résilient et plus influent. Il a exprimé son espoir que cette dynamique nouvelle débouche sur des projets concrets, portés conjointement par les acteurs institutionnels, les régulateurs et les opérateurs de marché.
« À travers l’échange de visions, la convergence des stratégies et le lancement de projets communs, elle marque le début d’un processus d’intégration Sud-Sud renforcé, capable de transformer les défis partagés en opportunités collectives et de positionner les marchés de capitaux arabes et africains comme des moteurs essentiels du développement économique de demain », a-t-il encore précisé.