Dans le cadre de la 5e rencontre du théâtre arabe à Hanovre, la découverte de l’auteur de « L’artiste imperméabilisé » s’est imposée par elle-même. Youness Atbane manie plusieurs disciplines artistiques, dû à son rapport précoce aux objets. Dès son plus jeune âge, il manie la matière, et développe au fil des années son savoir-faire jusqu’à en faire un support solide lui permettant d’interroger l’art contemporain et sa pérennité en 2025. A travers sa création « The waterproofedartist », il bouscule le langage scénique afin d’interroger pertinemment son public. Entretien.
Vous êtes artiste pluridisciplinaire, interprète. Vos performances en live fusionnent plusieurs arts de la scène dans le but de titiller la réflexion. C’est le cas dans « The waterproofedartist », présentée à l’occasion de la 5e rencontre du théâtre arabe d’Hanovre. C’est l’art contemporain que vous épinglez dans votre création …
J’appartiens à des disciplines multiples : l’art visuel et contemporain. Je me posais toujours la question : comment vais – je combiner les deux ? Ce style de lecture – performance est arrivé comme une solution au problème d’adaptation. Je me suis détaché de la galerie et de la scène classique. Ce que je vis en tant qu’artiste est devenu un sujet intéressant à traiter : le rapport avec les institutions, avec le politique, la géopolitique, les rapports de force : tout cela est devenu un espace intéressant à mettre en lumière pour le public. Ce qui se passe dans le monde de l’art visuel avec le marché de l’art, les tendances, les attentes d’une esthétique, de la narration… Tout m’a incité à conclure que le milieu de l’art comme sujet reste pour moi la meilleure façon de combiner les deux pratiques : les arts visuels et la danse. En même temps, c’est devenu un processus de travail. Quand je suis sur scène, je manipule l’objet.Etant originaire d’une famille de poterie, j’ai hérité de ce savoir. Une pratique qui me permet d’être entouré d’interprètes – objets, devenant de potentielles œuvres d’arts pour un projet d’exposition.
Alors, d’où émane la genèse de « The Waterproofedartist » ?
Elle est née d’une simple situation : ma présence à la Biennale de Venise sur place en 2011. On est dans un milieu où tous les pays s’exposent artistiquement … Je présentais une performance. Je vois les pays qui s’entre – critiquent, qui prônent l’universalisme dans une ville qui coule littéralement, polluée par une couche d’huile, et avec un pavillon palestinien qui a créé beaucoup de tension. C’est comme une géopolitique, en mini – monde, érigée sous mes yeux. Une situation qui m’a marqué, sans vouloir en faire une analyse. J’ai été par la suite confronté à des situations de postcolonialisme compliquées. C’est comme l’ancien exotisme qu’on est en train de combattre : celui qui nous renvoie à l’identité, aux origines, et qui pousse les artistes à créer uniquement dans une vision du sud, la leur. Ma création se passe en 2048, le grand déluge de Venise, avec son pavillon flottant qui se perd tout en montrant cette logique et vision occidentale. Une île palestinienne imaginée deviendra une terre sacrée, en référence à l’arche de Noé et dans le but d’entretenir l’espoir d’une paix, d’une solution. Même si on en est loin …
Quelle est la portée de votre propos ?
Cette question représente de nos jours l’extension de l’image postcoloniale, le cœur du postcolonialisme dans son rapport critique est lié à cette question. On a arrêté le colonialisme mais le postcolonialisme perdure toujours dans nos rapports avec une académie qui s’est détachée du peuple, qui s’est replié sur elle – même et qui ne s’adresse qu’à l’Occident. Je pense que si ce langage-là avait existé dans nos systèmes éducatifs, il y aurait eu moins de violence. Le discours du large public est tout autre. Les académiciens ont abandonné leurs peuples de suite de leur formation occidentale, et je vois ce rapport à la décolonialité, qui est adressé uniquement aux pouvoirs concernés qui les subventionnent. L’exemple de l’Afro- futurisme m’avait beaucoup inspiré. La conception futuriste offre un espace d’échange, d’espoir.J’utilise l’humour pour m’adresser directement au public.Quand on place une question dans le futur, le public suit plus facilement. Je me place en tant qu’artiste, et je place un chercheur académicien et deux curateurs.
Le métier de curateur a été épinglé dans votre création, comme beaucoup de métiers annexés à l’art …
Ces nouveaux artistes responsables. Les curateurs créent la légitimité, en sont responsables et éclipsent les artistes. Ils combinent l’académique et l’artistique. Artistes, académiciens et curateurs sont pointés du doigt. Dans une autre création, il y a aussi les directeurs de musées.
Dans vos accomplissements, est-ce que l’époque s’est imposée par elle-même ou est- ce dans la continuité de votre cheminement ?
Plutôt dans la continuité. Je fais partie des gens qui détestent entendre dire « Qu’avant, c’était meilleur ». C’est archi – faux. C’était la galère. Le rapport à l’époque, c’est quand avant, on l’a vécu, aujourd’hui, on est inquiets, et le futur est flou. Ce rapport à la nostalgie est placé en 2048, dans ma dernière création, comme un temps de paix après des années de conflits qui peuvent surgir à tout moment. L’exercice de la fiction est parfaitement collectif. Les gens projettent leur propre fiction, sous différentes visions. Cet exercice de disponibilité permet d’émettre des propos différents.
Comment auriez-vous aimé que les gens rebondissent autrement que de se réfugier dans le passé ou la nostalgie ?
C’est justement faire appel à l’imaginaire et pratiquer la fiction. Ils ne peuvent que s’y plaire. Ils adorent puisqu’ils sont imprégnés par le cinéma, la littérature et sont habitués à l’imaginaire. C’est leur imagination qui est entretenue. Je n’apporte pas de réponse, je pose un exercice et c’est au public d’interpréter. C’est mon 5e projet autour de la fiction et c’est très satisfaisant.
D’où est-ce que découle cette métaphore autour de « l’artiste imperméabilisé », titre intrigant de votre création ?
Elle émane des artistes du sud de la Méditerranée qui s’adressent au nord. Le débat se fait dans la Méditerranée et il faudrait être imperméable. Ils peuvent nager dans la Méditerranée et assurer ce débat et pour le garantir il faut être imperméable et ne pas couler ou être atteint. C’est une image métaphorique qui reflète le débat lourd en cours et dénonce le rapport de pouvoir entre les deux pôles. La scène est une thérapie pour moi. Elle nous permet d’avoir du recul et c’est un espace qu’on augmente et qu’on contrôle.
Vous, qui êtes artiste des deux rives, quelle résonnance a votre travail, à Casablanca, votre ville d’origine et en Europe ?
Je me découvre actuellement, tout en ne parvenant pas à trouver de réponse : quand je présente une création au Maroc, je le fais avec le dialecte marocain et quand je suis en Europe, je le fais en anglais ou en français. Quand je finis le spectacle, je reçois ce spectateur lambda, qui me dit que ton texte, « tu l’as fait dans telle ou telle langue parce l’autre côté va le lire de la sorte et vice-versa ? ». Le fait que le public commence à créer une idée sur l’autre, ce n’est plus un rapport de dominé / dominant, c’est ce que pense ou perçoit l’autre qui compte. Je suis surpris et je ne sais comment agir dans les deux côtés. La crise se cristallise et le schisme avec. C’est une matière à creuser pour les académiciens.
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