Vue d’en haut, du ciel, la galaxie financière tunisienne a fière allure. Vue d’en bas, au plus près dans ses rapports avec le reste de l’économie, sa situation est moins idyllique. Le paysage paraît fort contrasté. Et pour cause ! Les banques, les compagnies d’assurance, les sociétés de leasing, le capital risque et le marché boursier affichent des résultats qui font grincer des dents les entreprises et les particuliers qu’ils sont censés financer, accompagner et concourir à leur prospérité. Les bénéfices engrangés par les institutions financières font pâlir d’envie et ajoutent aux frustrations des PME – et pas qu’elles seules -, qui luttent pour leur survie quand elles ne sont pas à deux doigts du dépôt de bilan. Les particuliers, faute de mieux, s’y résignent. Les PME crient au scandale au motif que l’accès au crédit est semé d’embûches, et quand elles y parviennent, le prix à payer est exorbitant. Les groupes bien établis, aux assises financières plus solides, ou du moins perçus comme tels, ont tendance à réduire à leur tour la voilure. Les banques publiques s’en méfient et les banques privées poussent jusqu’à l’excès le principe de précaution, mettant ainsi peu d’empressement à ouvrir les vannes du crédit. Ainsi va le pays.
Les banques, fer de lance de l’économie, s’en défendent et réfutent toute discrimination ou un quelconque resserrement de crédit. Elles font valoir leur bilan et leur concours à l’économie en progression continue, sachant qu’elles sont, elles-mêmes, soumises, sous la supervision de l’Institut d’émission, à des règles prudentielles strictes et contraignantes. Faisceau de malentendus ou apports conflictuels banques-entreprises ? La question ne sera pas tranchée de sitôt. Les compagnies d’assurance, qui gagnent en puissance, ne sont pas en reste. Elles se disent engagées dans une vaste campagne de proximité et de conquête de sympathie de clients, grands et petits ; elles seraient à des années-lumière de toute forme de différenciation… Sans leur implication pleine et entière et leur capacité de prendre en charge les risques en tout genre, l’économie perdrait son principal levier d’investissement et de croissance. Et l’Etat l’un de ses principaux bailleurs de fonds.
Les sociétés de leasing ont de beaux restes. Elles sont, d’une certaine manière, confinées dans le rôle de variables d’ajustement financier. Elles seraient à ce titre au-dessus de tout soupçon. Elles font valoir leur singularité par rapport au secteur bancaire dont elles sont souvent issues. Comme quoi, les banques de la place font tout et les sociétés de leasing font le reste. La Bourse, en attendant l’arrivée de gros poissons, retrouve des couleurs et affiche des résultats qui ne laissent pas de marbre les grands comme les petits porteurs. Et pour compléter le tableau, le microcrédit, qui fait feu de tout bois, a dépassé le stade de voiture-balai. Hier, il ciblait les auto-entrepreneurs, les TPE; aujourd’hui, il est rejoint par la cohorte des PME, des exclus et des déçus du système bancaire.
Les sociétés de leasing ont de beaux restes. Elles sont, d’une certaine manière, confinées dans le rôle de variables d’ajustement financier. Elles seraient à ce titre au-dessus de tout soupçon.
Moralité : il y va de la PME comme de la classe moyenne, laminée et victime d’une paupérisation dont on ne voit pas la fin. Les banques, tant décriées par les uns et rarement encensées par ceux-là mêmes qui ont profité de leur concours pour régner souvent en maître sur l’économie, ont dû abuser de leur puissance. Pour autant, elles ont au final promu l’économie nationale et veiller à son développement. Sans l’engagement des banques et des assureurs, l’activité industrielle n’aurait pas atteint le niveau de sophistication qu’on lui connait, les services liés à l’industrie existeraient à peine et les vents de la modernisation n’auraient pas soufflé aussi fort sur l’agriculture.
Plus proches de nous dans e temps, ce sont surtout nos banques qui ont sauvé l’Etat d’un naufrage financier programmé. Sans leur concours à la limite du tolérable, au risque de provoquer un effet d’éviction de grande ampleur au désavantage de l’économie, l’Etat n’aura pas été assez loin du défaut de paiement. Il a pu, grâce à leur engagement, boucler son budget et éviter des fins de mois si difficiles qu’elles auraient mis en danger l’ensemble de l’édifice public. L’argent, c’est le nerf de la guerre. Dans leur rôle de pourvoyeur de fonds à l’Etat, mais aussi à l’économie, les établissements financiers n’ont pas failli à leur mission. Non sans en tirer profit. Il ne pouvait en être autrement, sans se mettre eux-mêmes en danger, pour assurer leur propre pérennité. A cette nuance près qu’ils ont restitué à l’Etat -qui ne les a guère ménagés sous forme d’impôt une grande partie des gains qu’ils avaient engrangés en finançant le déficit public.
Le niveau d’imposition n’a jamais été aussi élevé – faible croissance oblige. Les banques ne sont pas au bout de leur peine. Elles se voient infliger une réduction rétroactive de moitié des taux fixes de l’octroi de crédit, à concurrence de 8% de leur bénéfice, au profit d’entreprises marginales, sans garantie et sans intérêts. Ces mesures ne sont pas du genre à muscler nos banques, bien au contraire. Il est d’ailleurs à craindre l’annonce, à l’avenir, de résultats qui sèmeraient la panique chez les gros actionnaires et les petits porteurs. Ces mesures, prises à la hâte, sans concertation avec le secteur, sans de véritables études d’impact, pèseront lourdement sur les comptes et les résultats à venir des banques, en raison de la fragmentation et de l’atomisation du secteur bancaire.
Les banques ne sont pas au bout de leur peine. Elles se voient infliger une réduction rétroactive de moitié des taux fixes de l’octroi de crédit, à concurrence de 8% de leur bénéfice, au profit d’entreprises marginales, sans garantie et sans intérêts.
Cela vaut également pour les compagnies d’assurance, qui ne brillent pas par leur effet de taille. Des banques autrement plus grandes, sans rien perdre de leur agilité, s’en sortiraient mieux grâce aux économies d’échelle. On mesure l’ampleur du manque à gagner à l’idée que nos banques et nos compagnies d’assurance se soient détournées des voies de croissance externe autrement plus accélérée, via des manœuvres de fusion-acquisition. Qu’il n’y ait aujourd’hui aucune banque ou compagnie d’assurance dans le top 20, voire dans les 50 premières africaines, semble hors de raison et nous laisse sans voix. Comment, dans ces conditions, pouvons-nous prétendre nous frayer un chemin dans un continent plus ouvert et plus concurrentiel que jamais ? L’internationalisation inéluctable de nos entreprises aura d’autant plus de chances d’aboutir quand elle est précédée et accompagnée par nos banques au faîte de leur puissance. Il serait vain de s’en remettre à des banques étrangères, qui prêchent pour leur paroisse et défendent leurs propres entreprises.
Il ne fait aucun doute que des banques aux ambitions internationales seraient à même de préfigurer la banque de demain, solidement connectée, affichant haut et fort sa transformation digitale et sa force d’innovation. Elles seraient bien en place dans la compétition régionale, voire continentale, auréolées d’une offre de produits qui mettraient nos entreprises à l’égal de leurs compétiteurs. Non que les petites banques à l’instar des assurances – de proximité ou qui campent sur des niches spécifiques ne soient pas utiles, bien au contraire, mais cela n’enlève rien à la nécessité de faire émerger des champions nationaux de taille mondiale pour faire jeu égal avec les grands de la région. Et tirer l’économie nationale vers le haut.
Il ne fait aucun doute que des banques aux ambitions internationales seraient à même de préfigurer la banque de demain, solidement connectée, affichant haut et fort sa transformation digitale et sa force d’innovation.
Les ambitions managériales continentales des établissements financiers n’y suffiront pas. Il faudra pour cela l’appui franc et massif de l’autorité publique. En clair, une législation plus permissive avec moins de réticence, d’hésitation et de principe de précaution abusif, une vision politique plus aboutie et plus assumée et une volonté d’ouverture sur le monde sans restriction aucune. Il y a plus de deux siècles, un ancien ministre français connu pour ses compétences, appelé de sa retraite à la rescousse par le roi pour redresser l’économie, n’a rien trouvé de mieux à lui dire : Sire, faites-nous de bonne politique, et je vous ferai de bonnes finances. Nous y voilà
Cet éditorial est publié dans le dernier numéro de L’Économiste Maghrébin – Spécial Finances, actuellement disponible en kiosque.
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