Djerba, les bébés viennent bronzer et les flamands roses déposer leurs œufs
Sous un soleil printanier de ce mois d’avril, Houmt el Souk est envahie par des centaines d’enfants et de bébés, que leurs parents ont sauvés du froid des pays européens, le temps des vacances scolaires. Des papas poussent les poussettes, où des bébés se prélassent et s’étirent en montrant leurs jambes et leurs joues bronzées, tandis que les mamans, en tenue très légère d’été, accompagnées souvent de leurs garçons ou filles, font la conquête des boutiques d’artisanats, fraîchement repeints.
La saison touristique s’annonce très bonne et les Djerbiens, commerçants dans l’âme, se frottent les mains. La présence des enfants et des bébés prouve que l’île est considérée comme un lieu sûr et sécurisé, pour s’y aventurer avec sa propre progéniture. Le dernier attentat qui avait ciblé il y a presque deux ans le pèlerinage de la Synagogue d’el Ghriba n’est donc qu’un vague souvenir.
L’exception culturelle
Autre signe qui ne trompe pas, les deux communautés, musulmane et juive, de l’île, en dépit de la guerre de Gaza, qui a ébranlé le monde, continuent à vivre et à se côtoyer sans incident majeur. Un incident a pourtant failli rompre cette coexistence pacifique, lorsque les forces de l’ordre ont essayé d’arrêter un citoyen tunisien de confession juive, condamné par un tribunal à une peine de prison pour agression caractérisée contre un autre citoyen tunisien. Les réseaux sociaux ont été envahis par de pages sionistes dirigées de l’étranger présentant cette arrestation comme un acte antisémite. Un début de manifestation a même eu lieu, lorsqu’un communiqué du rabbinat est venu donner raison à la police. Le délinquant a été arrêté et l’affaire est toujours en attente d’un jugement. Mais Djerba continue à rayonner à l’international comme une des meilleures destinations touristiques du monde.
Autre signe qui ne trompe pas, les deux communautés, musulmane et juive, de l’île, en dépit de la guerre de Gaza, qui a ébranlé le monde, continuent à vivre et à se côtoyer sans incident majeur.
Un autre incident se produisit la semaine dernière. Un jeune, non djerbien – précisé le communiqué de la police de Médenine – a tenté de voler le sac d’une touriste, qui s’est débattue et fut blessée avant que les citoyens ne se jettent sur l’agresseur et l’arrêtent avant de le livrer à la police qui a accouru sur le lieu. Les réseaux sociaux se sont vite enflammés laissant libre court à l’imaginaire et aux fantasmes, mais vite calmés. C’est le prix de la notoriété, et il faut faire avec et surtout informer vite et à temps.
Le geste des citoyens n’est pas seulement motivé par la volonté de protéger les victimes. Il fait partie d’une longue tradition d’autodéfense collective face aux agressions venues de l’extérieur. L’UNESCO a d’ailleurs évoqué cette longue tradition séculaire où les Djerbiens, ibadites, malékites, juifs ou chrétiens se coalisent pour faire face aux périls extérieurs venant de la mer ou du continent, mais aussi par une vigilance collective quand il s’agit de rompre la sécurité intérieure au sein des villages, lorsqu’ils sont menacés par une déstabilisation, les mosquées jouant un rôle majeur dans cette recherche collective et continue de la sécurité.
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Cela fait partie des spécificités culturelles de Djerba peut-être à cause de son côté insulaire. Il est certain qu’en cas de danger qui menace les habitants, ce reflexe culturel qui existe depuis la nuit des temps continue à se manifester à l’époque moderne sous d’autres formes. Même s’il est vrai que des actes d’agression isolés, comme les braquages pour arracher les téléphones ou le vol des maisons dont les propriétaires sont à l’étranger continuent à gâcher la sérénité légendaire des Djerbiens.
L’autre exception culturelle est la tendance conservatrice des Djerbiens, une forme de résistance aussi bien à l’agressivité de la culture touristique qu’à la modernité tout court. Mais un compromis a fini par être trouvé, les insulaires ne considérant plus le tourisme comme un fléau qui menace leurs traditions et surtout leur religion, mais comme un facteur qui leur permet désormais de mettre en valeur leurs éléments identitaires.
Le sommet de la Francophonie, tenu en 2022, a permis aux Djerbiens, et grâce à une politique volontariste du ministère de la Culture, de mettre en scène leurs traditions, artistiques, folkloriques et même religieuses. Des milliers d’hommes et de femmes ont participé à ces manifestations, ce qui a eu pour effet le renforcement du tourisme culturel. En effet, l’on voit maintenant des cars de touristes pleins à craquer suivre le circuit culturel qui permet de découvrir aussi bien l’architecture typique des houchs et des mosquées, que les traditions culinaires de l’île. Au fond, un renouveau du secteur touristique, qui ne se limite plus aux trois fameux (SSS).
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Autre facteur nouveau, le développement fabuleux des maisons d’hôtes qui de plus en plus se situent à l’intérieur de l’île en pleins menzels, sorte de quartiers qui regroupent les gens de la même famille, et même que certains houchs ont été transformés en maison d’hôtes avec piscine mais sans bars, mais décorés avec des meubles de style djerbien, ce qui renforce la tendance du tourisme culturel.
La bourgeoisie tunisienne est acquise à ce genre de maisons familiales extrêmement pittoresques, et qui rompt avec la tradition touristique, dite tourisme de masse. Il est clair qu’on assiste à une évolution que les autorités gagnent à soutenir, puisque sur le plan national on appelle de plus en plus à la diversification du produit touristique. Sauf que la législation dans ce domaine accuse encore du retard.
La transfiguration
Aucune étude n’est encore faite sur l’évolution démographique de l’île. Ce qui est sûr, c’est que la nature identitaire de l’île est en cours de changement. L’immigration de et vers Djerba continue à changer la carte démographique aussi bien quant à l’âge que l’origine ethnique. Il clair que l’installation de plus en plus de personnes âgées, d’origine européenne, que de retraités djerbiens aussi bien que d’autres villes tunisiennes, souvent dotées d’un pouvoir d’achat assez élevé, a fait grimper vers le haut l’âge moyen des résidents. Par contre, l’immigration des jeunes djerbiens vers l’Europe, qui est une tradition qui date des années soixante, prive l’île de ses forces vives, à tel point que certains villages de l’intérieur ne comptent que peu de jeunes. Le manque de main-d’œuvre se fait ressentir, ce qui crée une tendance à s’y installer des jeunes venant de l’extérieur de l’île qui pratiquement couvrent tous les métiers, et y restent souvent en fondant des familles, surtout autour des grandes agglomérations.
L’immigration de et vers Djerba continue à changer la carte démographique aussi bien quant à l’âge que l’origine ethnique.
Ce qui est intéressant, c’est que ce changement démographique se fait en douceur, et sans accrocs entre les originaires et les nouveaux habitants. On ne les distingue presque plus surtout que l’île accueille des centaines de milliers de touristes , ce qui crée un mélange incroyablement beau et riche le jour du souk (2 fois par semaine), une sorte de melting-pot, très coloré et diversifié, le tout dans une ambiance de kermesse continue. C’est ce qui attire de plus en plus des Tunisiens assez âgés à vouloir finir leur vie dans cette ambiance chargée de sérénité et d’échanges.
Ce qui est surprenant, après les années, terrorisme et COVID, c’est que l’île a vite surmonté sa crise et récupéré ses atouts. Cela se voit à l’œil nu, dans les agglomérations urbaines, où boutiques, bazars, salons de thé, cafétérias, restaurants, gargotes, sont totalement retapés et modernisés souvent avec beaucoup de luxe, concurrence oblige. Même le vieux marchand de beignets dont la boutique date des années trente, près du café mythique de Chmamtattou, un des plus anciens après le café Ben Daamech, a retapé complètement sa boutique.
Bref, tout le monde sent qu’on est devant une belle saison touristique, et on s’y prépare fiévreusement. Pourvu que rien ne vienne perturber cette espérance, et les gens suivent avec inquiétude le fameux pèlerinage de la Ghriba. L’année dernière, les organisateurs avaient opté pour une cérémonie religieuse pour uniquement les autochtones, à cause de la guerre de Gaza. L’on ne sait pas encore ce qui se prépare pour le prochain pèlerinage en mai. Toutefois, la sécurité est déjà renforcée surtout pour les contrôles des papiers aussi bien à côté du Bac d’Ajim que du côté du pont romain.
Ce qui frappe le visiteur, au premier coup d’œil c’est la prospérité affichée de l’île, en contradiction avec la crise économique que vit le pays. Il est vrai que les deux mamelles de l’île sont le tourisme et surtout les transferts des Djerbiens de l’Europe. Une bénédiction !
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