La dynamique économique mondiale reste marquée par une succession de chocs qui entretiennent un climat d’incertitude généralisée. Sur le plan géopolitique, les tensions persistantes au Moyen-Orient et en Asie orientale alimentent des inquiétudes durables sur la stabilité des flux énergétiques et sur la sécurité des chaînes d’approvisionnement stratégiques. Ces foyers de tension se traduisent par une volatilité accrue des prix du pétrole et du gaz, pesant directement sur les pays importateurs nets d’énergie, dont la Tunisie.
Dans le même temps, les grandes puissances économiques peinent à trouver un équilibre dans leurs politiques monétaires. La Réserve fédérale américaine (Fed) maintient une ligne dure, privilégiant la lutte contre une inflation encore au-dessus de sa cible; malgré les signaux de ralentissement de l’activité. Le dollar reste donc solidement installé comme valeur refuge, attirant des capitaux au détriment des économies émergentes.
En Europe, la Banque centrale européenne (BCE) a adopté une posture plus nuancée, ralentissant ses hausses de taux face à une croissance en berne; mais sans enclencher de véritable assouplissement monétaire.
Dans ce contexte, la Tunisie reste exposée à un environnement externe contraignant. Il est marqué par une compétition accrue pour attirer les capitaux et une dépendance forte vis-à-vis des flux extérieurs de devises.
Ces choix contrastés se traduisent par une forte volatilité des taux de change. Tandis que le billet vert conserve une vigueur remarquable, l’euro tente de se maintenir, bénéficiant d’une résilience relative mais fragilisée par des perspectives économiques ternes. Les marchés financiers, eux, oscillent entre la crainte d’une récession mondiale et l’espoir d’un retour progressif à la stabilité. Les investisseurs privilégient les actifs sûrs, limitant l’accès des pays émergents aux financements internationaux à des conditions avantageuses.
Dans ce contexte, la Tunisie reste exposée à un environnement externe contraignant. Il est marqué par une compétition accrue pour attirer les capitaux et une dépendance forte vis-à-vis des flux extérieurs de devises.
Conjoncture tunisienne : une stabilité monétaire sous tension (*)
Politique monétaire et conditions de liquidité
Les derniers indicateurs publiés par la Banque centrale de Tunisie (BCT) au 12 septembre 2025 mettent en évidence une stabilité apparente des conditions monétaires. Le taux directeur demeure fixé à 7,5 %, niveau inchangé depuis cinq mois, traduisant une volonté d’ancrer les anticipations d’inflation sans étouffer davantage l’activité économique. Le taux du marché monétaire s’aligne sur ce niveau, à 7,5 %, en recul par rapport aux 7,99 % enregistrés en 2024.
Le volume global du refinancement bancaire atteint 12 672 MDT, légèrement supérieur à celui de l’année précédente. Cette évolution illustre une tension persistante sur la liquidité, malgré une gestion plus équilibrée par la BCT. Les opérations d’Open Market se contractent fortement, avec un encours de 3 885 MDT contre 8 312 MDT un an plus tôt, traduisant une réduction des injections directes de liquidité.
Le volume global du refinancement bancaire atteint 12 672 MDT, légèrement supérieur à celui de l’année précédente. Cette évolution illustre une tension persistante sur la liquidité, malgré une gestion plus équilibrée par la BCT.
Par ailleurs, les facilités permanentes à 24h témoignent de besoins ponctuels de financement : la facilité de prêt atteint 1 35 MDT, en hausse; tandis que la facilité de dépôt s’élève à -1 575 MDT, confirmant une gestion active des excédents et déficits de liquidité par les banques.
Les billets et monnaies en circulation s’établissent à 25 943 MDT, en hausse de 3 482 MDT par rapport à 2024. Cette progression traduit une forte demande de cash, alimentée à la fois par les besoins de l’économie informelle et par la prudence des ménages face aux incertitudes.
Finances publiques et dette intérieure
Le solde du compte courant du Trésor atteint 2 006 MDT, contre seulement 754 MDT la veille et 1 144 MDT un an plus tôt, exprimant une gestion plus souple de la trésorerie publique. Néanmoins, c’est la structure de la dette qui attire l’attention.
L’encours des Bons du Trésor Assimilables (BTA) bondit à 28 403 MDT, contre 16 478 MDT en 2024, soit une augmentation spectaculaire de près de 12 milliards de dinars. En parallèle, les Bons du Trésor à court terme chutent à 2,95 milliards de dinars, contre plus de 10 milliards un an plus tôt. Cette recomposition traduit une stratégie délibérée d’allongement de la maturité de la dette, afin de limiter les risques de refinancement à court terme. Mais elle accroît mécaniquement la charge d’intérêts sur la durée et exerce une pression sur le marché financier local.
L’encours des Bons du Trésor Assimilables (BTA) bondit à 28 403 MDT, contre 16 478 MDT en 2024. Soit une augmentation spectaculaire de près de 12 milliards de dinars. En parallèle, les Bons du Trésor à court terme chutent à 2,95 milliards de dinars, contre plus de 10 milliards un an plus tôt.
Tourisme et transferts : deux moteurs essentiels
Les recettes touristiques cumulées s’élèvent à 5,753 milliards de dinars au 10 septembre, en hausse de 460 millions de dinars (MDT) par rapport à 2024. Cette progression témoigne de la bonne saison estivale et de la reprise graduelle du secteur, soutenue par le retour des marchés européens et maghrébins.
Les revenus du travail cumulés en devises atteignent 6,035 milliards de dinars. Soit une augmentation de 468 MDT par rapport à l’année précédente. Ces deux flux constituent aujourd’hui les principaux leviers de soutien de la balance des paiements. Permettant ainsi d’atténuer partiellement la pression exercée par le déficit commercial structurel.
Avoirs extérieurs et change
Les avoirs nets en devises de la BCT s’établissent à 25 527 MDT, soit l’équivalent de 110 jours d’importation, en recul par rapport aux 117 jours enregistrés un an plus tôt. Cette tendance à l’érosion reflète le poids du service de la dette extérieure, qui atteint 9 843 MDT cumulés au 10 septembre, contre 10 285 MDT l’an dernier. Malgré une légère baisse en valeur absolue, le service de la dette reste élevé et continue de grignoter les réserves.
Sur le marché des changes, le dinar affiche une évolution contrastée. Il s’apprécie face à l’euro, s’établissant à 3,41 TND pour 1 EUR contre 3,37 en 2024. Tandis qu’il se déprécie face au dollar, avec un cours de 2,91 TND pour 1 USD, contre 3,05 l’an dernier. Cette double évolution reflète la vigueur persistante du billet vert et la résilience relative de la monnaie européenne. Le dinar se renforce également face au dirham marocain, mais recule nettement face au yen japonais, traduisant une exposition différenciée selon les partenaires commerciaux.
Sur le marché des changes, le dinar affiche une évolution contrastée. Il s’apprécie face à l’euro, s’établissant à 3,41 TND pour 1 EUR contre 3,37 en 2024. Tandis qu’il se déprécie face au dollar, avec un cours de 2,91 TND pour 1 USD, contre 3,05 l’an dernier.
Analyse et perspectives à court et moyen terme
La situation actuelle de la Tunisie peut être qualifiée de « stabilité sous tension ».
À court terme, plusieurs signaux positifs se dégagent : la reprise du tourisme, la progression des transferts des Tunisiens à l’étranger et la stabilisation du taux directeur offrent un répit bienvenu. Ces facteurs contribuent à maintenir les réserves de change à un niveau relativement confortable, tout en soutenant le dinar face aux principales devises.
Cependant, cette apparente stabilité masque des fragilités structurelles profondes. La dette publique continue de croître, avec une dépendance accrue aux financements intérieurs par le biais des BTA. Cette stratégie, bien que nécessaire pour sécuriser le financement de l’État, augmente la pression sur le système bancaire local et réduit la capacité du secteur privé à accéder au crédit.
À moyen terme, la principale menace réside dans la soutenabilité extérieure. Les réserves de change, bien qu’encore confortables, montrent une tendance à l’érosion. Le service de la dette extérieure reste lourd et la Tunisie demeure exposée aux fluctuations des prix de l’énergie et aux chocs géopolitiques mondiaux. L’équilibre budgétaire et financier reste donc fragile et dépend largement de l’évolution des négociations avec les bailleurs de fonds internationaux, au premier rang desquels le FMI et la Banque mondiale.
Par ailleurs, le maintien de l’inflation autour de 5,2 % – Les prix des produits libres (non encadrés) augmentent de 6,2 % sur un an (**) – impose une vigilance accrue. Une détente trop rapide de la politique monétaire risquerait de relancer les tensions inflationnistes. Tandis qu’un resserrement supplémentaire pèserait sur une croissance déjà faible. La BCT se trouve donc dans une position délicate, devant arbitrer entre la stabilité des prix et la nécessité de préserver l’activité économique.
Le maintien de l’inflation autour de 5,2 % impose une vigilance accrue. Une détente trop rapide de la politique monétaire risquerait de relancer les tensions inflationnistes. Tandis qu’un resserrement supplémentaire pèserait sur une croissance déjà faible.
En définitive, la Tunisie évolue dans un environnement complexe où les soutiens ponctuels (tourisme, transferts, stabilité monétaire) ne suffisent pas à compenser les déséquilibres structurels (dette, déficit commercial, dépendance extérieure). La marge de manœuvre demeure étroite. Et seule la mise en œuvre de réformes profondes — qu’il s’agisse de la fiscalité, de la gouvernance des entreprises publiques ou de la diversification productive — permettra de transformer cette stabilité fragile en croissance durable.
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Sources :
(*) BCT
(**) INS
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)
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