Partie de Tunis le 9 juin, la caravane maghrébine baptisée Soumoud (résistance) poursuit son périple vers Gaza avec une détermination intacte, mais l’incertitude grandit à l’approche de la frontière égyptienne. Aucun visa n’a encore été accordé, et Le Caire reste muet.
Composée d’un peu plus de 1500 personnes issues de cinq pays du Maghreb – Tunisie, Algérie, Maroc, Mauritanie, Libye – cette initiative citoyenne entend briser le silence arabe autour de la guerre à Gaza. Universitaires, artistes, médecins, jeunes étudiants, militants des droits humains et figures associatives se sont rassemblés autour d’un objectif : porter physiquement un message de solidarité avec la population de Gaza, assiégée et dévastée depuis 20 mois par une campagne militaire israélienne sans précédent.
Une marche contre l’effacement
À bord d’une vingtaine de de bus et 350 voitures décorés de drapeaux palestiniens et de slogans de soutien, la caravane a quitté Tunis dans une ferveur populaire rare. Les messages sont clairs : “Non au génocide, non au silence”, “Les peuples avec Gaza, malgré les frontières”. En toile de fond, le lourd bilan de la guerre : près de 55 000 morts palestiniens, selon les autorités sanitaires de Gaza, dont une majorité de femmes et d’enfants.
Face à ce qu’ils qualifient de crime contre l’humanité, les États maghrébins sont restés en retrait, se contentant de communiqués diplomatiques. C’est ce vide que la caravane tente de combler : « Quand les États se taisent, les peuples doivent parler », dit Karim, jeune médecin algérien rencontré à la frontière libyenne.
Accueil chaleureux en Libye, blocage potentiel en Égypte
Le convoi a franchi sans difficulté le poste de Ras Jedir, entre la Tunisie et la Libye, puis traversé les villes côtières jusqu’aux abords de l’Est libyen. Là, les communautés locales leur ont offert vivres, carburant et hébergement, souvent improvisés dans des écoles ou des mosquées. La solidarité populaire fonctionne, mais l’ombre du verrou égyptien plane déjà.
En effet, l’Égypte n’a à ce jour donné aucun accord de passage. Le quotidien Asharq al-Awsat affirme que les autorités n’ont pris « aucune décision claire » quant au transit de la caravane. Selon plusieurs sources sécuritaires égyptiennes, citées anonymement, la diversité des nationalités et le caractère non institutionnel de la mission poseraient problème.
Le point d’achoppement : les visas. Le gouvernement égyptien exige des visas préalables pour toute entrée par voie terrestre. Or, aucun membre de la caravane n’a encore reçu de visa à ce jour, comme l’a confirmé Wael Nawar, porte-parole du groupe :
« Nous avons soumis les dossiers nécessaires, mais aucune réponse ne nous est parvenue de la part des autorités consulaires égyptiennes. »
Rafah : la dernière brèche, sous contrôle
Le poste frontalier de Rafah, reliant l’Égypte à la bande de Gaza, est devenu un symbole stratégique. Fermé, rouvert, puis restreint au compte-goutte depuis le début de la guerre, il est le seul point d’accès non israélien vers Gaza. Mais l’Égypte, prise entre ses alliances sécuritaires, sa diplomatie régionale et sa peur d’une mobilisation incontrôlable, gère ce point comme un sas étanche.
La caravane, bien qu’humanitaire, ne rentre dans aucun schéma officiel. Ni ONG accréditée, ni mission diplomatique, elle incarne une contestation morale qui dérange. Et c’est bien ce caractère spontané, transnational et populaire qui semble inquiéter Le Caire.
Une mobilisation symbolique, même sans franchissement
Les organisateurs sont lucides. Ils ne s’attendent pas nécessairement à entrer à Gaza. « L’essentiel est de rappeler que Gaza n’est pas oubliée », dit Mouna, une étudiante tunisienne, drapée d’un keffieh. « Si on nous bloque, ce sera une preuve de plus que le monde arabe est paralysé. »
Le convoi devrait atteindre la zone frontalière orientale libyenne dans les prochaines 48 heures, à proximité du désert du Sinaï. Des discussions informelles seraient en cours avec des intermédiaires civils et religieux pour tenter de débloquer la situation.
Mais les obstacles demeurent : conditions climatiques extrêmes, logistique fragile, sécurité instable, et surtout absence de statut légal face aux autorités égyptiennes.
La caravane Soumoud incarne une tentative rare d’action directe arabe, en dehors des appareils étatiques. Elle interpelle, gêne, inspire. Qu’elle franchisse ou non Rafah, elle aura imposé un autre récit, celui d’un peuple qui refuse de détourner le regard.
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