Dans la jungle numérique où les failles se monnayent au prix fort et où les hackers guettent la moindre brèche, mieux vaut avoir un éclaireur qu’un simple fournisseur de services. Riadh Jouini fait partie de ces guides qui savent exactement où regarder, où renforcer, où anticiper.
Son parcours force le respect: fondateur et CEO de NartaQ, Senior Cloud Security Architect chez Sysdig, auteur de deux ouvrages remarqués dans l’univers de la tech (Empowering Minds et Beta Democracy), il a également cumulé des responsabilités d’architecture et de pilotage IT chez BNP Paribas, Enedis, IBM, Société Générale ou encore Kering. Partout, on lui a confié des systèmes critiques, complexes et sensibles.
Mais un CV ne dit jamais tout. Riadh Jouini résume lui-même le fil rouge de ses vies professionnelles: «Avec plus de dix ans d’expérience en tant qu’architecte informatique et de sécurité pour des leaders mondiaux, j’ai construit des systèmes complexes, sécurisés et évolutifs. Avec NartaQ, ma mission est d’appliquer la même rigueur pour reconstruire une infrastructure alimentée par l’IA, transparente et fondée sur le mérite».
Stratège des données et des démocraties numériques
Avec NartaQ, Riadh Jouini ne se contente pas d’ajouter une plateforme de plus à l’écosystème d’investissement. Il signe la première place de marché d’investissement pensée dès l’origine pour l’Afrique et les pays émergents. L’outil s’appuie sur l’intelligence artificielle pour rapprocher fondateurs et investisseurs, rationaliser la due diligence et automatiser une grande partie de l’exécution des transactions. Mais l’homme n’est pas qu’un architecte de systèmes complexes; c’est aussi un théoricien du numérique. Auteur de deux ouvrages dont le techno-politique Beta Democracy, dans lequel il décrit le basculement d’un monde régi par la «legacy» des institutions classiques vers un univers façonné par les plateformes digitales. Au cœur de sa réflexion: ce «système de behavioral engineering» par lequel les réseaux sociaux orientent subtilement nos décisions, loin des mécanismes de délibération démocratique traditionnels.
Cette posture de stratège ne l’empêche pas d’être un homme d’action. Entrepreneur, il cofonde en 2025 à Paris NartaQ, du verbe arabe nartaqî, «s’élever». La jeune pousse réunit aujourd’hui une quinzaine de personnes autour d’une promesse simple: permettre à un investisseur, où qu’il se trouve, d’identifier en quelques clics la startup qu’il recherche, grâce à une plateforme de mise en relation fondée sur l’IA, la blockchain et une architecture entièrement décentralisée.
Une décentralisation qui dépoussière le matchmaking
Dans l’univers de NartaQ, «décentraliser» ne relève pas du slogan, mais de l’architecture même de la plateforme. Riadh Jouini précise: «Nos concurrents, directs ou indirects, fonctionnent encore sur des schémas centralisés: ce sont les personnes “du bon réseau” qui, par relations et bouche-à-oreille, finissent par trouver l’investisseur. Si l’on veut instaurer un environnement réellement équitable, il faut rompre avec cette logique. D’où notre choix d’un système décentralisé: la startup renseigne son pitch deck, un lien est généré et mis à la disposition de l’investisseur, qui consulte les informations sur le projet et l’équipe, puis attribue un score. En fonction de la maturité de ce score, nous décidons de faire matcher – ou non – la startup avec l’investisseur. Si le niveau est suffisant, le projet est catégorisé et proposé dans son segment, avec des critères très fins côté investisseurs. S’il est encore en deçà, deux cas de figure: lorsqu’il est proche du seuil, nous l’orientons vers des accélérateurs et structures d’accompagnement; lorsqu’il en est loin, nous le basculons sur un mode SaaS, avec un reporting détaillé des causes de non-maturité et des outils d’IA pour aider la startup à améliorer son score».
Reste la question clé: sur quels modèles NartaQ entraîne-t-il son système de scoring?
«Nous avons utilisé des jeux de données existants, très proches de ce que nous recherchons, explique Riadh Jouini. Certains concurrents offrent déjà la possibilité de scanner des pitch decks: nous en prélevons des fragments pour bâtir notre propre base, structurée selon nos critères. Nous avons conçu notre propre modèle de pitch deck, aligné sur les standards les plus exigeants, puis demandé à l’IA d’apprendre à en extraire les données pertinentes par catégorie, en s’appuyant sur des jeux de données de startup déjà disponibles. Nous disposons aujourd’hui de centaines de milliers de données prêtes à l’emploi. Pendant la phase de test, nous avons commencé à fédérer notre propre communauté».
Cette communauté est entretenue par un pôle dédié au customer success. Un profil issu de Microsoft doit d’ailleurs rejoindre prochainement l’équipe pour suivre ces “success stories” et répondre aux nombreuses questions des jeunes pousses déjà présentes sur la plateforme, qui attendent avec impatience la sortie du MVP annoncée pour le 15 décembre.
«Nous avons d’abord développé le MVP, puis structuré la partie customer success, précise Riadh Jouini. Rien qu’avec la phase de project release, nous avons enregistré beaucoup d’adhésions. Nous nous appuyons sur cette base pour créer de l’engagement avec les startups, comprendre leurs problématiques, les accompagner et nous assurer de la qualité de ce qu’elles produisent».
L’autoformation continue comme ligne de vie
Quand on échange avec Riadh Jouini, rien ne laisse penser que l’on a affaire à un autodidacte de la tech. Vocabulaire chirurgical, références pointues, vision d’architecte. Pourtant, il revendique ce parcours hors cadre: «C’est le prix de plusieurs nuits blanches à fouiller des livres», sourit-il.
Son travail de Senior Cloud Security Architect s’organise en séquences très structurées. D’abord la discovery: comprendre les réglementations qui encadrent les flux de données, entrantes et sortantes. Ensuite l’analyse fine des infrastructures qui les hébergent, puis un audit technique poussé. Ce n’est qu’après ce diagnostic qu’il est mandaté pour déployer les solutions de Sysdig, capables de détecter une attaque en temps réel. «Avant, lorsqu’un gouvernement, une entreprise ou un site se faisait hacker, on s’en rendait compte pendant ou après l’attaque. La solution open source de Sysdig, utilisée par Apple, Microsoft ou plusieurs gouvernements, permet de voir qui attaque, quand, et de couper immédiatement les chemins d’accès aux données sensibles».
Ce niveau d’expertise à la fois en matière de cybersécurité que du métier bancaire lui a valu être sollicité par Sysdig sur réputation, après un parcours chez les géants du secteur tels que IBM, BNP Paribas, Kering… et des projets à plusieurs dizaines de millions d’euros. «La partie la plus complexe, explique-t-il, c’est de respecter la densité réglementaire et les procédures opérationnelles, parfois très lourdes. Après, c’est un processus d’autoformation qui ne s’arrête jamais». D’autant que, autour de lui, l’exigence est soutenue: «Chez Sysdig, nous avons des anciens de Google, Amazon, Microsoft… Des profils brillants auprès desquels on apprend tous les jours».
Les deux jardins secrets de Riadh
Au milieu de la complexité cyber, Riadh, dont le prénom signifie «jardins», cultive deux terrains intimes. Le premier est tourné vers les jeunes talents. Il regrette de voir, dans les grandes entreprises françaises et américaines, tant de cerveaux africains – et tunisiens – brillants mais déracinés. Il veut leur offrir plus de visibilité, soutenir les startups par des labels, sponsoriser des événements, accompagner un maximum de jeunes et les convaincre de rester en Tunisie ou d’y revenir pour y bâtir des projets tech.
Le second jardin est celui de sa propre projection. Dans cinq ans, il se voit entrepreneur à temps plein, à la tête d’un NartaQ réalisant entre 150 et 200 millions d’euros de chiffre d’affaires, porté par une équipe de 300 à 400 personnes, moitié humains, moitié «entités IA». Il se rêve focalisé sur la deep tech, avec une plateforme conçue avant tout comme une stratégie d’IA et de workflows réutilisables. À condition, dit-il, que les mentalités évoluent et que les talents acceptent de construire ici: «La tech peut élever le niveau de vie, transformer l’administration, l’énergie, l’agriculture. Encore faut-il choisir de le faire chez nous».
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