«Le secteur de l’élevage avicole est essentiel dans la sécurité alimentaire de l’Afrique du Nord et de l’Afrique subsaharienne où la consommation de volailles représente 41% des protéines issues des viandes. Le secteur est également important pour être fortement employeur, porteur d’opportunités pour les petites exploitations familiales… mais il est grevé par une certaine dépendance, car une grande partie des céréales pour l’alimentation des volailles reste importée», atteste Sahar Mechri, ED de Managers, lors du webinaire tenu le 26 mars 2025 sur le thème «L’élevage africain à l’ère de la transformation: innover, performer et prospérer» avec des intervenants du Sénégal, de Mauritanie et de Tunisie, dans la série de séminaires Wings Growth Boost organisés par Managers avec l’ambition de mettre en lumière les opportunités de collaboration entre Tunis, Dakar et Nouakchott dans le cadre du programme WING4Africa, soutenu par le projet Qawafel financé par l’AFD et mis en œuvre par Expertise France.
Pour lancer le débat dont elle assure la modération, elle pose les questions qui représentent les grands soucis de l’élevage africain: comment rendre ce secteur plus résistant? Comment le rendre plus rentable? Comment substituer les produits locaux aux produits importés? Comment atteindre l’autosuffisance?
Mohamed Lemine Vayda: «Des collaborations régionales sur les mécanismes des chaînes de valeur»
«Ces enjeux sont prioritaires en Mauritanie. Le rôle de l’élevage y est très important avec 20 millions de têtes de bétail et des exports de 900 millions de dollars, notamment vers le Sénégal», réagit Mohamed Lemine Vayda, directeur du commerce extérieur au ministère mauritanien du Commerce et du Tourisme et expert en commerce international.
«Le secteur a chez nous un potentiel de cheptel. Nous exportons 5 millions de peaux vers la Chine. Et pour valoriser le secteur, nous avons négocié des accords préférentiels avec l’Union européenne pour que nous exportions vers elle sans droits de douane. C’est aussi le cas avec les USA. Nous avons un mécanisme de certification sanitaire qui permet aux investisseurs de travailler en règle. Les investisseurs peuvent également faire les démarches administratives par smartphone… mais nous avons évidemment quelques contradictions à régler», ajoute-t-il.
Vayda voit d’un bon œil des collaborations régionales sur les mécanismes des chaînes de valeur pour relever les défis environnementaux et de coût: «Parmi les exigences environnementales, il faut faire attention aux volailles alimentées aux OGM. Les défis d’investissement doivent être étudiés précisément pour l’élevage». Il regrette qu’il n’y ait pas vraiment de mécanismes de financement pour monter des projets dans ce secteur. Mais il estime que la solution réside dans le soutien des hommes d’affaires aux opérateurs, surtout pour les infrastructures de l’abattage. En matière de coopération, ce négociateur aguerri est ouvert sur la région: «Nos collègues d’Abidjan et de Tunis sont les bienvenus à Nouakchott pour discuter de plans de relance du secteur sans tabous. Nous pouvons également avoir une triple présence dans les foires et notre fédération de l’élevage est prête au contact et disposée à offrir des solutions».
Seynabou Drame: «Les poulets sont chers parce que leur alimentation coûte cher»
Seynabou Drame, diététicienne nutritionniste, experte en gestion de projet et innovation, entrepreneure (Sénégal), estime que les innovations en matière de nutrition animale permettront à l’élevage de répondre aux enjeux de santé publique: «On ne peut pas parler de développement de l’économie locale sans un élevage et une agriculture durables. Nous devons travailler à la bio-fortification du lait, à optimiser les viandes en oméga3, régler les problèmes d’accessibilité».
Selon elle, le secteur connaît de profonds problèmes. Par exemple, quand la Mauritanie exporte des moutons vers le Sénégal, les environnementalistes vont venir. Toutes les dimensions du secteur s’entrecroisent, il a des liens solides avec l’économie générale du pays: «Pour que l’élevage soit un levier économique, il faut briser le cercle entre l’agriculture, la santé et la durabilité. Il est très important d’investir en même temps aussi bien dans l’agriculture que dans l’élevage durable. On ne peut pas continuer à consommer nos ressources n’importe comment».
Elle estime que, malheureusement, l’innovation n’est pas prioritaire et qu’il faut d’abord briser le cercle pour pouvoir lutter contre la malnutrition. Elle avertit également contre la persistance des problèmes d’accessibilité: «Les poulets coûtent cher. Si la population n’y a pas accès, comment réussir à prévenir les problèmes de santé. En un mot, nous devons nous engager dans une prise en charge holistique; one health».
Elle revient encore sur l’impératif de casser le cercle vicieux entre l’élevage et la santé et estime qu’il est absolument nécessaire d’investir dans l’agriculture durable: «Les poulets sont chers parce que leur alimentation coûte cher. Si nous avions des moyens de produire localement les céréales, les prix baisseraient. Une exonération fiscale des entreprises concernées y contribuerait également».
Yosra Tahri: «Notre approche permet de ne pas abuser des antibiotiques»
Yosra Tahri, fondatrice de Phytopro (Tunisie), explique comment l’innovation dans les compléments alimentaires pourrait améliorer le prix de revient des céréales destinées aux volailles: «Nous avons deux innovations en cours. D’abord un additif à base de plantes qui pourrait diminuer le taux de mortalité. Ensuite, fruit de 10 ans de R&D, une solution hydrosoluble qui améliorer la fonction respiratoire et le rendement. Nos essais ont donné des résultats spectaculaires. Il s’agit d’une hausse de rentabilité de 5% et d’une réduction du taux de mortalité de 30%. Nous avons noté que le taux de mortalité au Sénégal était supérieur à celui de la Tunisie. En simulant le système immunitaire, il y a des affections courantes sur lesquelles nous avons testé notre produit naturel avec succès. Notre approche permet de ne pas abuser des antibiotiques qui sont la cause de l’anti bio-résistance des volailles, et -par extension- des humains. Elle permet aussi de rentabiliser l’élevage et d’assurer la qualité des viandes».
Elle souligne que l’approche de Phytopro de limiter l’usage des antibiotiques n’est pas seulement une question de souveraineté mais une contribution à l’effort mondial pour résoudre ce problème international: «Notre approche favorise l’autonomie des agriculteurs sans recourir à des produits étrangers, avec des solutions plus accessibles tout en renforçant les capacités locales africaines et en soutenant les chercheurs qui travaillent sur la préservation des cheptels».
Cheikh Guy Marius Sagna: «Promouvoir les médicaments à base naturelle»
Guy Marius Sagna, député, chantre de l’aviculture au Sénégal, atteste que le taux de mortalité des volailles est élevé au Sénégal, du 1er au 35e jour: «Il faut scruter ce fait dans les prés, interroger les éleveurs sur la progression des poussins et promouvoir auprès d’eux les médicaments à base naturelle. Il faut aussi comprendre que le coût des céréales fait augmenter le prix des volailles. Si on parvient à assurer des sources locales et si le taux de mortalité est réduit, cela peut compenser le coût des céréales et donner accès à des poulets moins chers».
Selon lui, certaines priorités sont à mettre en place: «Il faut trouver les médicaments bio qui assurent un traitement de base naturelle à la volaille et qui sont surtout sans effets secondaires. Ces produits sont déjà développés par les fabricants dans la région et maintenant il faut se mobiliser pour les commercialiser. Et, par-dessus tout, saisir que le secteur de la volaille ne peut vraiment être développé comme il faut si nous ne veillons pas en même temps à développer notre agriculture».
Leila Ben Braiek: «Un rôle essentiellement préventif contre les pathologies»
«Nous fabriquons des unités de traitement de volailles, des abattoirs et des machines de grillade, avec cinq brevets à ce jour. Nous développons des solutions métaboliques et digestives, des compléments minéraux, des solutions spécifiques en cas de pathologies ou de fièvres; ces solutions sont administrées par voie orale. Quant aux anti-parasitaires et aux cosmétiques pour animaux, ils sont administrés de l’extérieur », déclare Leila Ben Braiek, CEO de SLPI et Meva Perfect (Tunisie). Selon elle, son approche est intégrée et son rôle est essentiellement préventif contre les pathologies, les défis sanitaires, l’affaiblissement d’immunité. Des études d’impact ont prouvé l’efficacité de ses produits dans des fermes pilotes en Tunisie et au Sénégal.
Pour cela, elle vise le renforcement du volet sanitaire au Sénégal et en Mauritanie, l’investissement dans des centres locaux R&D mais d’abord l’amélioration des facteurs généraux: «Il faut renforcer le cadre réglementaire régional, harmoniser les normes d’enregistrement des produits, construire de bons réseaux de distribution avec des partenaires locaux, des partenariats aussi pour que les éleveurs aient accès à nos produits, des programmes de formation sur l’utilisation optimale des produits…».
Le dernier mot est un message de confiance de Sahar Mechri: «Nos pays sont en train de renforcer la coopération régionale, car il y a vraiment du potentiel ici. Il y a des solutions africaines qui permettent de réussir à améliorer le rendement et la santé animale, et donc humaine. Les partenaires de la région sont manifestement enthousiastes et volontaires en vue de faire avancer les choses. Nous portons en nous l’ADN du travail en commun».
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