Le poème du dimanche | ‘‘Sostenuto’’ de Monchoachi
Né en 1946 à Saint Esprit, en Martinique, Monchoachi est poète et essayiste. Il publie des ouvrages de poésie, en français et en créole, ainsi que des essais.
Monchoachi a entrepris depuis quelques temps une longue investigation poétique visant à mettre en évidence le projet dévastateur de l’Occident au regard des autres cultures : Lémistè 1-Liber America, consacré aux Amériques; Lémistè 2-Partition noire et bleue sur l’Afrique et l’Océanie; Lémistè 3 – Fugue vs Fug consacré à l’Europe, Lémistè 4 Streitti : la séparation dans le rapport au monde qui induit le monothéisme, ici le judaïsme; Lemistè 5 La Grande Mesure, sur la Chine et l’Asie, non encore publié. Tous aux Editions Obsidiane. Le texte publié ici est inédit.
Tahar Bekri
Le Temps détraqué
Donc, avons dérivé jusqu’au fond des âges
Nuit puis jour,
et jour encor
Remué ferments, démêlé tissures
Marché sur les pistes divines
D’un bord du ciel à l’autre flairé l’infime trace
les senteurs dissipées,
Pieds poudrés aux carrefours avons dérapé
Monter-descendre dessus les dunes prendre pèse la terre
dans le gypse, dans le sable sec
Et dans zentrailles fourmilières roulée en ses spires
L’éternité au Milieu balbutiée
plein fentes, plein béances
où affluent grande bondance
gemmes et couleurs géminées
parures dorées à lacer
respir et resplendir
rires et bredouillis
figures mêlées murmures qui ruent
tambours, et sans répit, frappés-des-pieds :
répétée, la fleur qui s’épanouit, immortelle
Transmue la nuit en chien qui mendie à la lune
Divin miroir de la danse sacrée dont la magique
méduse, enserre,
puis tantôt détraqué
raille la demeure des humains,
offense et disjoint le Temps
l’arène d’où le feu saillit,
le séjour qui accueille et lie,
l’arbre aux branches ombrageuses qui recueille le chant puissant,
offense et démêle l’outre de la source force de vie
en deux rives rases
l’une pour l’autre perdue, l’une comme l’autre
vouée à forligner :
passé dépassé présent déserté,
crotté d’actuels
et, sous la main qui tâtonne, aucune destinée n’affleure,
pièce voix basse ne branle à l’oreille longée.
Un voile glacé ce monde que l’Occident
depuis mille ans arrache
puis assèche
Vieille peau battant ténèbes
déchet, chèvre noire du sacrifice.
Visions errantes dans ces décombres vont et viennent
les créatures s’effacent sans un regard
Immobiles beuglent les âmes encagées.
Réveiller l’attente, déchirer la natte du Couchant.
II
«…notre châtiment l’histoire» (1)
Pure l’attente qui rend l’homme au Temps, le dieu au visage
tatoué qui s’est jeté au feu et n’aspire qu’à restorer ses enfants,
ceux-là même couverts des raies blanches du sacrifice
depuis que la Roue s’est figée et refuse de tourner. Au sommet
du ciel, la vie lui a bâti sa demeure de nacre rouge, d’où Il porte
ciel et terre, fait marcher les neuf ciels et tourner l’univers.
A ses côtés la lune monte à travers le firmament revêtue de haillons
et couverte de cendres bleues quand tombe
la nuit.
Et l’attente, main ouverte, lèvres entr’ouvertes,
ajourée comme une forêt souriante, attend. fait exister l’Instant,
milieu vertical-lhorizontal,
blanc carrefour tournant,
oiseau aux ailes brillantes
immobile
engrangeant Silence.
En l’attente habitante le corps dépouillé, jarre vide,
sans ombre se fait miraculeux soleil.
Et l’attente ainsi, rétablit le Temps pour l’heure
enrégimenté, elle lui restitue ses corde musicales légères sur
lesquelles le corps peut désormais nu, sur l’une,
sur l’autre
tel l’oiseau, telle goutte de rosée
sauter
et le bruit des pas ici et là
le bruit des pas
ici-là
sentir beauté passer entre les lèvres,
le pays natal brasser le corps
et la bouche, une aube sortie de l’ombre
grimper danser faire avec toute la gourmandise
et l’étreinte de la langue,
avec des notes et une voix claire
à nouveau faire avec grâce, avec joie
tourner la Roue.
Lémistè 6
(Inédit, remerciements à l’auteur).
1- Octavio Paz, Pasado en claro.
Note de la rédaction:
– Sostenu ; soutenu;
– Lemisté ; les mystères.
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