‘‘Une histoire politique de la Silicon Valley’’ | Le nouveau cocon de l’impérialisme américain
«Quand vous avez des hommes civilisés qui combattent les sauvages, vous soutenez les hommes civilisés. Peu importe qui ils sont», écrivait Ayn Rand, philosophe américaine d’origine juive russe (1905 -1982), lors de la guerre israélo-arabe d’Octobre 1973. Un demi siècle plus tard, l’entreprise d’extermination de la population de Gaza est déjà le prototype des nouveaux conflits qui se profilent où la supériorité technologique du vainqueur assure l’annihilation du vaincu. Le fait que cette entreprise d’extermination soit soutenue par un technologue libertarien, suprémaciste, transhumaniste et raciste comme Elon Musk n’est pas anodin. (Photo : Elon Musk au Bureau ovale aux côtés de Donald Trump, la Silicon Valley dans l’antre du pouvoir).
Dr Mounir Hanablia *
Silicon Valley constitue le berceau iconique du développement scientifique et technologique qui symbolise la domination économique et financière des Etats-Unis sur le monde. Située à Palo Alto, en Californie, près de la ville de San José, cette vallée a glissé de la production viticole, fruitière et maraîchère vers celle des nouvelles technologies de l’information qui ont façonné le monde moderne.
Des vacuum tubes, des ampoules, des téléviseurs et des écrans des radars, l’industrie est passée aux semi-conducteurs puis aux microprocesseurs qui ont permis la réduction de taille des ordinateurs de l’équivalent d’un bâtiment à celui d’une tablette transportable tout en accroissant leur puissance de calcul. Mais il a fallu transmettre, traiter, amplifier et échanger l’information, équivalent à des impulsions électromagnétiques transmises par l’air (radio, télévision), ou par des câbles métalliques (téléphone, télégramme), jusqu’aux impulsions lumineuses transportées par fibres optiques (internet).
Si Google, Apple, Facebook, Microsoft et Amazon (les Gafam) ont vu le jour à Palo Alto dans ce qui allait être nommé la Silicon Valley, c’est parce que le loyer et le terrain y étaient moins chers, et que l’université Stanford n’en était pas très loin.
Des bidouilleurs géniaux
On peut certes s’extasier face à ces avancées majeures, mais il a fallu l’organisation nécessaire pour en rendre la réalisation possible. Le phénomène est que plusieurs de ces réalisations technologiques et des grandes compagnies qui les ont commercialisées et qui occupent aujourd’hui le haut du pavé de l’industrie de l’information ont débuté dans des garages et des arrière-boutiques de maisons de Palo Alto. Et les initiateurs en ont souvent été d’anciens étudiants de l’université voisine de Stanford associés à des férus de l’informatique, des bidouilleurs qu’on a appelés les hackers qui ont acquis la maîtrise et l’expérience des programmes informatiques plus par la pratique et l’expérience personnelle que par les études balbutiantes dans un domaine évolutif, alors en grande partie inconnu, et qui ont orienté l’évolution technologique en fonction des besoins qu’ils ont été obligés de satisfaire et des réponses aux questions auxquelles dans leur pratique ils ont été obligés de répondre.
Il n’y a pas eu seulement cela. Ces hackers ont été aussi au tout début mus par des considérations idéologiques, la foi en la libération de l’être humain par la science, censée résoudre tous ses problèmes, le droit de l’individu à la liberté dont l’Etat en tant qu’institution constitue le plus grand ennemi.
Ainsi la matrice idéologique de ces entrepreneurs, ainsi qu’ils se définissent, a uni contre l’Etat en tant que paradigme des militants de la Gauche contre la guerre du Vietnam adeptes du cannabis à ceux de la Droite libertarienne pour qui la suppression des impôts constituait un droit fondamental.
Il n’en demeure pas moins qu’à Palo Alto rien n’aurait pu se faire sans les capitalistes qui ont accepté de risquer une partie de leurs fortunes pour financer les projets dont le succès n’était pas assuré, dans l’espoir il faut le dire non pas d’assurer le progrès de l’humanité, mais d’en retirer des bénéfices substantiels assurant ou consolidant leur fortune. Et plusieurs de ces capitalistes furent plutôt originaires de la côte Est, là où se situent les banques et les principales institutions financières du pays.
Au service de l’impérialisme américain
Il n’en demeure pas moins que l’Etat si décrié a contribué d’une manière décisive au succès de Silicon Valley en finançant plusieurs programmes de recherches entreprises au bénéfice de la défense nationale et de l’armée des Etats-Unis. Et aujourd’hui la colonne vertébrale de la puissance américaine c’est évidemment l’Internet, l’autoroute de l’information, qui lui permet d’espionner sur une grande échelle l’ensemble des pays, d’en influencer les peuples, et de contrôler le système financier international. Et le rêve des temps héroïques qui promettait la libération des êtres humains a paradoxalement conduit au plus formidable outil de contrôle des individus que l’Intelligence Artificielle (IA) risque de renforcer encore plus.
D’autre part, le rêve libertaire matérialisé par la création des ordinateurs individuels a conduit à une mainmise commerciale mondiale dont la raison d’être est le bénéfice encore et toujours plus au profit des actionnaires.
Retour à l’ancien ordre colonial
Il demeure nécessaire de le souligner alors que les entreprises phares de Silicon Valley ont assuré la fortune de la Californie au point d’en faire le 6e Etat le plus riche du monde, et que sur le plan local, le niveau de vie des employés du Gafam, chauffeurs, cuisiniers, livreurs, essentiellement d’origine mexicaine, n’a fait que se détériorer, du fait de la politique du gel des salaires et de la précarité des emplois.
Ainsi un mouvement de protestation sociale communautaire est né, opposant les Latinos de Palo Alto Est aux Anglo-saxons de Palo Alto, et symbolisant dans les faits la division internationale engendrée par les technologies de l’information, reflétant l’ancien ordre colonial, avec les blancs éduqués d’un côté, et les allogènes dont les écoles dénuées de subventions tombent en ruine et qui sont incapables d’éduquer leurs enfants.
Ce racisme, puisqu’il faut bien l’appeler ainsi, n’est pas le fruit du hasard. Si la famille Stanford a créé l’université qui porte son nom à la mémoire de son fils disparu prématurément, elle faisait état ouvertement d’opinions extrêmes, considérant les non blancs comme des inférieurs dont les mariages avec les blancs ne peuvent que diminuer les performances intellectuelles de ces derniers, et les femmes comme aptes uniquement à la gestion du foyer et à l’éducation des enfants.
Du racisme au transhumanisme
Elon Musk, un minarchiste, adepte de l’Etat minimum et chargé de réduire l’Etat Fédéral à la portion congrue par l’expulsion de milliers de fonctionnaires, est l’exemple le plus achevé du mouvement libertarien technophile. S’il se situe prêt de l’Extrême Droite, dans le gouvernement de Trump qui a fait de l’expulsion des immigrés un de ses principaux objectifs électoraux, il convient d’en connaître les raisons.
Mais Elon Musk est aussi un transhumaniste, qui use de nouveaux moyens techniques dont l’objectif ultime est de transposer la conscience et la mémoire d’un être humain, vues comme un ensemble d’impulsions électriques, sur un support informatique, afin d’en assurer l’éternité. En attendant, il implante déjà des micropuces suffisamment miniaturisées fabriquées par sa société Neurolink dans des cerveaux de paraplégiques afin de leur permettre de contrôler les ordinateurs par la pensée. Il pose ainsi concomitamment les bases de la télépathie. Mais il n’est nullement un cas isolé.
Actuellement l’université de la Singularité, qui se situe à Stanford, s’est fixée comme objectif de réaliser le saut technologique qui précipitera un ensemble incalculable d’innovations irréversibles, autrement dit une révolution, concrétisant le projet transhumaniste, depuis les humains dotés grâce aux machines de capacités supérieures jusqu’à l’esprit humain greffé sur les machines en passant par les machines dotées d’une intelligence supérieure et d’une conscience humaine.
On situe déjà cette singularité vers l’année 2029. Que cela soit ou non une vue de l’esprit non encore corroborée par les faits n’est pas le plus important. Ce qui l’est c’est l’idéologie qui la sous-tend, exclusive, élitiste et suprémaciste, qui réduira à l’état de rebut le reste de l’humanité qui ne dispose pas de la technologie et qui n’aura d’autre choix que de disparaître.
L’entreprise d’extermination de la population de Gaza est déjà le prototype des nouveaux conflits qui se profilent où la supériorité technologique du vainqueur assure l’annihilation du vaincu. Or cette supériorité technologique ne se nourrit pas du message de la charité chrétienne, mais de l’égoïsme objectiviste promu au rang de vertu d’Ayn Rand, de Peter Thiel, et de Ray Kurzweil, les nouveaux prophètes de la dernière apocalypse. L’Humanité n’est pas encore sortie de l’auberge.
‘‘The Valley. Une histoire politique de la Silicon Valley’’ de Fabien Benoit, éditions Les Arènes, 2 mai 2019, 288 pages.
L’article ‘‘Une histoire politique de la Silicon Valley’’ | Le nouveau cocon de l’impérialisme américain est apparu en premier sur Kapitalis.