L’Union européenne a officiellement inscrit la Tunisie sur sa première «liste commune des pays d’origine sûrs», adoptée le 8 décembre 2025.
Désormais, les demandes d’asile présentées par des ressortissants tunisiens seront soumises à des procédures accélérées, dans l’hypothèse — présumée — qu’elles sont «manifestement infondées» sauf si des éléments spécifiques exposent un risque individuel.
Le classement résulte de l’accord du Conseil sur deux volets majeurs: la révision du concept de «pays tiers sûrs» et l’instauration d’une liste unique au niveau européen de «pays d’origine sûrs», dans le cadre du pacte migratoire adopté par l’UE.
Selon le communiqué officiel, la Tunisie figure aux côtés de pays tels que l’Égypte, le Maroc, le Bangladesh, la Colombie, l’Inde et le Kosovo.
Pour l’Union, un pays d’origine peut être qualifié de «sûr» s’il assure un niveau suffisant de protection des droits fondamentaux, de l’État de droit et de l’égalité devant la loi pour ses habitants, ce qui, selon l’analyse des institutions européennes, semble réuni en Tunisie en l’absence de conflit armé ou de persécutions généralisées.
Au-delà de la Tunisie, la décision illustre le virage de l’UE vers un traitement plus rapide des demandes d’asile jugées «manifestement infondées», et un durcissement global de sa politique migratoire.
La Tunisie figure désormais sur la liste commune des pays d’origine jugés « sûrs » par l’Union européenne, une décision entérinée par le Conseil de l’UE. Ce nouveau classement entraîne l’accélération du traitement des demandes d’asile déposées par des Tunisiens. Il s’inscrit dans une refonte profonde de la politique migratoire européenne.
Un classement européen qui change les règles du jeu
L’Union européenne a officialisé l’inscription de la Tunisie sur sa liste actualisée des pays d’origine considérés comme « sûrs », une catégorisation qui modifie profondément la gestion des dossiers d’asile.
Les ressortissants tunisiens continueront d’avoir la possibilité de déposer une demande, mais celle-ci sera désormais examinée selon une procédure abrégée, car présumée non fondée en l’absence d’éléments personnels démontrant un risque réel de persécution.
Le concept européen de « pays sûr » repose sur une évaluation du respect global des droits fondamentaux, du fonctionnement de l’État de droit et des garanties contre les traitements inhumains.
Une harmonisation imposée aux États membres
Dans cette nouvelle classification, la Tunisie rejoint notamment l’Égypte et le Maroc, sélectionnés à l’issue d’un examen harmonisé appliqué pour la première fois à l’échelle des Vingt-Sept. Les États membres devront aligner leurs mécanismes de tri et de traitement conformément à cette liste unifiée.
Cette évolution intervient dans un contexte de réforme globale du Pacte européen sur la migration et l’asile, qui vise à réduire les divergences entre les systèmes nationaux et à accélérer les procédures de retour pour les personnes déboutées. Bruxelles présente cette harmonisation comme un moyen de fluidifier les flux administratifs et de rendre les décisions plus cohérentes.
Des réserves exprimées par les ONG
Plusieurs organisations de défense des droits humains ont toutefois mis en garde contre une vision perçue comme trop optimiste de la situation tunisienne. Elles estiment que les réalités sociopolitiques doivent être examinées avec plus de nuance, craignant que ce classement n’aboutisse à des rejets systématiques des demandes, indépendamment de situations individuelles potentiellement sensibles.
Plusieurs employés du Conseil tunisien pour les réfugiés (CTR) sont jugés ce 24 novembre 2025, dans un contexte de répression accrue contre les organisations de la société civile en Tunisie, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. «Les autorités tunisiennes doivent abandonner les charges infondées, libérer les deux employés détenus et cesser de criminaliser l’activité légitime des organisations indépendantes», souligne l’organisation dans le communiqué ci-après.(Ph. Mustapha Djemali).
Les autorités tunisiennes ont fermé le Conseil, gelé ses comptes bancaires et poursuivent six de ses employés pour leur travail d’assistance aux demandeurs d’asile et aux réfugiés en tant que partenaire du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).
Parmi ces six personnes figurent le fondateur et directeur, Mustapha Djemali, et le chef de projet, Abderrazek Krimi. Ils encourent jusqu’à 23 ans de prison s’ils sont reconnus coupables des accusations infondées de facilitation de l’entrée et du séjour irréguliers de ressortissants étrangers en Tunisie. L’un des employés n’a pas encore été jugé, la procédure devant la Cour de cassation étant en cours.
«Le Conseil tunisien pour les réfugiés a mené un travail de protection essentiel en faveur des réfugiés et des demandeurs d’asile, en collaborant légalement avec des organisations internationales accréditées en Tunisie», a déclaré Bassam Khawaja, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch. Et d’ajouter : «Poursuivre une organisation par des poursuites judiciaires abusives criminalise un travail d’assistance crucial et prive les demandeurs d’asile du soutien dont ils ont désespérément besoin.»
Le procès, qui se tient devant le tribunal de première instance de Tunis, est le premier intenté contre une organisation de la société civile depuis l’arrestation de plusieurs employés d’ONG entre mai et décembre 2024. Il intervient dans un contexte de répression sans précédent de l’espace civique en Tunisie.
Travailleurs humanitaires assimilés à des malfaiteurs
Le Conseil tunisien pour les réfugiés (CTR), créé en 2016, effectuait un premier tri des demandes d’asile pour le compte du HCR. Il fournissait également un hébergement d’urgence et une assistance médicale aux réfugiés et demandeurs d’asile.
Le 2 mai 2024, le CTR a lancé un appel d’offres public auprès d’hôtels tunisiens pour ces services, provoquant une vive polémique sur les réseaux sociaux et parmi les parlementaires, dans un contexte de répression anti-migrants. Le lendemain, la police a perquisitionné le siège du CTR à Tunis, a dissous l’organisation et a arrêté Djemali. Le 4 mai, Krimi a été arrêté. Tous deux sont en détention provisoire depuis.
Le 7 mai 2024, un porte-parole du tribunal a déclaré que le parquet avait inculpé les dirigeants d’une organisation non identifiée de «constitution d’une association de malfaiteurs en vue de faciliter l’entrée illégale de personnes en Tunisie». Cette accusation est liée à un «appel d’offres adressé aux établissements hôteliers tunisiens pour l’hébergement de migrants africains», publié «sans concertation avec les autorités sécuritaires et administratives».
Le même jour, un juge d’instruction a ordonné la détention provisoire de Djemali et Krimi dans l’attente de l’enquête, en vertu des articles 38, 39 et 41 de la loi n° 40 de 1975, pour «avoir fourni des informations, planifié, facilité ou assisté… l’entrée ou la sortie illégale d’une personne du territoire tunisien», «hébergé des personnes entrant ou sortant illégalement du territoire tunisien» et «participé à une organisation ou entente» en vue de commettre ces infractions. Entre mai et juin 2024, les autorités ont également gelé les comptes bancaires du conseil et ceux de Djemali et Krimi.
Le 30 avril 2025, le juge d’instruction a formellement inculpé les six employés en vertu de la loi de 1975. Le 3 juin, la chambre d’accusation a élargi les charges pour y inclure l’article 42 de cette même loi, qui prévoit à lui seul une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement.
Human Rights Watch a examiné l’ordonnance de clôture du juge et a conclu que les accusations étaient fondées exclusivement sur le travail légitime du conseil, qui opérait légalement en Tunisie et était financé presque exclusivement par le HCR.
Bien que les bénéficiaires du conseil soient des demandeurs d’asile et des réfugiés enregistrés auprès du HCR en Tunisie, le juge d’instruction a estimé que les activités de l’organisation constituaient un soutien aux migrants sans statut régulier «afin de faciliter leur installation dans le pays».
L’ordonnance de clôture fait référence à des activités telles que l’hébergement et l’aide financière aux réfugiés et aux demandeurs d’asile, activités courantes du HCR dans de nombreux pays et souvent menées par des partenaires opérationnels.
Djemali, un Suisse-Tunisien de 81 ans, n’a été entendu qu’une seule fois par le juge d’instruction pendant sa détention provisoire. Atteint de la maladie de Horton, une inflammation des artères, il n’a pas reçu, depuis septembre 2024, des autorités pénitentiaires malgré plusieurs demandes, un traitement adéquat, selon sa famille. Le juge a rejeté six demandes de mise en liberté provisoire pendant sa détention, ont-ils ajouté.
Les poursuites abusives et la fermeture du Conseil tunisien pour les réfugiés s’inscrivent dans une répression plus large de la société civile en Tunisie, a déclaré Human Rights Watch. Entre mai et décembre 2024, les forces de sécurité ont également arrêté au moins six autres personnes travaillant pour des organisations non gouvernementales en raison de leur action contre les discriminations ou de leur assistance aux réfugiés, demandeurs d’asile et migrants. Parmi elles figurent Saadia Mosbah, éminente défenseure des droits humains et présidente de l’association antiraciste Mnemty (Mon Rêve) ; Abdallah Saïd, président des Enfants de la Lune ; Saloua Ghrissa, présidente de l’Association pour la promotion du droit à la différence ; et trois employés actuels et anciens de l’organisation Terre d’Asile Tunisie. Tous sont en détention provisoire depuis lors.
Les autorités ont quasiment mis fin à l’assistance et à la protection des réfugiés et demandeurs d’asile en Tunisie. Outre le ciblage et la fermeture des organisations apportant un soutien, les autorités ont ordonné au HCR, en juin 2024, de suspendre le traitement des demandes d’asile sous prétexte que la Tunisie cherchait à établir un système national d’asile. Or, le pays ne dispose toujours pas de cadre juridique national en matière d’asile. De ce fait, les demandeurs d’asile se retrouvent dans un vide juridique, privés de protection internationale, et exposés aux risques d’arrestation et d’expulsion arbitraires.
Les autorités tunisiennes ont également ciblé plusieurs autres organisations de la société civile par le biais d’enquêtes financières ou pénales, d’un renforcement du contrôle administratif et financier, de restrictions bancaires arbitraires et de suspensions temporaires. Depuis juillet, au moins 15 associations enregistrées en Tunisie ont fait l’objet d’une suspension ordonnée par un tribunal, certaines sans préavis.
Les demandeurs d’asile ont droit à la protection
La Tunisie est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui garantissent les droits à la liberté d’association, à la protection contre l’arrestation ou la détention arbitraires et à un procès équitable.
La Charte africaine protège également le droit de demander et d’obtenir l’asile en cas de persécution, et la Constitution tunisienne de 2014 garantit le droit d’asile politique. La Tunisie est partie aux conventions de 1951 des Nations Unies et de 1969 de l’Organisation de l’unité africaine relatives au statut des réfugiés, qui protègent les droits des réfugiés et des demandeurs d’asile. Ces conventions interdisent notamment de sanctionner les personnes en situation irrégulière (entrée ou séjour) qui se présentent rapidement aux autorités, et proscrivent l’interdiction absolue du refoulement, c’est-à-dire le renvoi vers un lieu où elles risquent d’être persécutées.
«Au lieu de criminaliser le travail des associations et d’emprisonner les défenseurs des droits humains sous de faux prétextes, les autorités tunisiennes devraient collaborer étroitement avec la société civile pour le bien de tous les citoyens», a déclaré Khawaja. Et d’ajouter : «La répression généralisée contre la société civile nuit non seulement aux personnes employées par les organisations visées, mais aussi à celles qui bénéficient de leur travail.»