Douha Alaya | L’artiste qui transfigure la douleur
L’exposition «Corps propre» de Douha Alaya, présentée en avril dernier au Centre culturel Bir Lahjar, dans la médina de Tunis, a été une agréable surprise pour les amateurs d’art. L’artiste est d’une rare sensibilité, consciente et engagée, qui parvient à transfigurer la douleur palestinienne en un geste artistique d’une beauté poignante et d’une force de vie bouleversante.
Mohsen Khlifa *

Dans un monde saturé d’images, où le flux numérique impose un rythme vertigineux à nos émotions, l’art de Douha Alaya** s’élève comme une respiration nécessaire — un acte de résistance face à la déshumanisation visuelle. Artiste tunisienne profondément engagée, elle parvient à placer le corps au centre d’une démarche où la création devient un acte de témoignage, de douleur et d’espoir.
Son œuvre naît à l’intersection de la corporalité engagée et du langage numérique. Dans un univers où les réseaux sociaux diffusent les tragédies en direct, l’artiste interroge la façon dont cette exposition permanente altère notre sensibilité.
L’art comme espace de résistance
L’actualité, transmise en continu, engendre à la fois une surcharge émotionnelle et une forme d’indifférence progressive, où la souffrance devient une banalité visuelle. Face à cela, Douha Alaya choisit l’art comme espace de résistance.
Sa démarche artistique, articulée en deux temps, part d’un autoportrait photographique – une quête d’authenticité et d’intimité – avant d’entrer dans un processus numérique où l’image est déconstruite, recomposée, hybridée. En exploitant la technique de la capture d’écran, elle prélève des fragments du réel, des scènes de guerre et d’exode, pour les réinscrire dans une œuvre où la mémoire s’incarne dans la chair, le tissu et la lumière.
À travers des séries telles que Résistance infinie, Résilience, ou Embuscade, l’artiste engage son propre visage, son regard et sa peau dans une relation directe avec le monde. Ces autoportraits ne sont pas de simples reflets, mais des actes de solidarité et de réhumanisation. Ils traduisent la douleur, le défi et la détermination d’un peuple, tout en affirmant la présence intime de l’artiste dans le drame collectif.
Le keffieh traditionnel palestinien, élément récurrent de ses œuvres, devient bien plus qu’un motif visuel : il est mémoire tissée, peau symbolique, histoire incarnée.
Dans les compositions numériques de Douha Alaya, ce tissu ancestral s’étend jusqu’à recouvrir le visage de l’artiste, créant une fusion entre identité personnelle et résistance collective.
Cette matérialité du keffieh exprime une volonté de transformation : celle de convertir la douleur en création, l’effacement en empreinte, la tragédie en langage visuel.


Le corps comme champ de bataille
Ainsi, l’art de Douha Alaya n’est ni une simple représentation ni une dénonciation à distance : il est implication totale, acte de présence et affirmation d’humanité. Dans une époque où la frontière entre réel et virtuel se brouille, son œuvre rappelle que l’image peut encore être un lieu de vérité, un espace de résilience poétique et politique.
Entre peau et pierre, fil et mémoire, l’artiste inscrit sa création dans la continuité d’une longue tradition de résistance esthétique. Douha Alaya fait du corps — le sien — le champ de bataille et le sanctuaire d’une conscience contemporaine : celle qui refuse le silence, qui transforme la douleur en lumière et qui, au cœur même du numérique, redonne au regard sa puissance de compassion.
Enfin, avec son corps unique, Douha Alaya enrichit la bibliothèque artistique tunisienne d’une voix nouvelle, libre et audacieuse. Son œuvre trace les contours d’une génération d’artistes pour qui l’engagement, la détermination et le numérique deviennent les langages d’une même quête de sens et de beauté.
* Chercheur sur « l’Art et l’intelligence artificielle», doctorant sur le Management par l’IA.
** Douha Alaya, née le 9 juillet 1986 en France, est une artiste plasticienne contemporaine tunisienne, multidisciplinaire, ainsi qu’enseignante à l’Institution des Arts et Métiers de Siliana relevant de l’Université de Jendouba. Son travail se distingue par une hybridation singulière entre peinture, photographie, arts numériques et intelligence artificielle. En articulant ces différents médiums, elle explore les frontières qui les séparent et les relient, développant ainsi une approche inédite, résolument contemporaine, immersive et expérientielle.
L’article Douha Alaya | L’artiste qui transfigure la douleur est apparu en premier sur Kapitalis.