Ces spectacles affichent souvent complet et attirent un public intergénérationnel de mélomanes. Mais ce phénomène soulève des interrogations : pourquoi tant d’hommages à des artistes étrangers plutôt qu’aux grands noms de la musique tunisienne ?
La Presse — Au Théâtre municipal de Tunis, trois affiches juxtaposées ont récemment attiré l’attention : « Hier encore » de Rafik Gharbi, qui se veut un « hommage » à Charles Aznavour, « Sinfonica » de Jihed Jbara qui revisite les répertoires d’Aznavour, Brel, Dalida et Édith Piaf et « Abba Symphonia » du Carthage Symphony Orchestra dirigé par Hafedh Makni.
Programmés respectivement les 25, 31 octobre et 1er novembre, ces spectacles concentrés sur moins de 10 jours ont suscité un débat autour de la valeur ajoutée de cette tendance sur la scène culturelle tunisienne.
Des projets différents mais un même esprit
Après « Chœur de femmes », spectacle dédié aux grandes voix féminines, Rafik Gharbi poursuit sa série de concerts autour du répertoire de Charles Aznavour.
Il s’entoure pour cela de Lilia Ben Chikha, ex-Star Academy et actuellement à l’affiche de l’opéra « La Traviata », de Kamel Sallem, ancien membre du groupe Cartago, célèbre dans les années 1980, et de Mayssoun Fatnassi, artiste aux nombreuses collaborations.
Son prochain projet déjà annoncé, « Gigi et la Môme», sera consacré à Dalida et Edith Piaf dans la continuité de cette démarche.
De son côté, Hafedh Makni aborde un thème différent à chaque concert. Ses représentations réunissent un grand orchestre et une chorale, privilégiant la pluralité des voix.
Avant « Abba Symphonia», il avait dédié une série de concerts aux œuvres de Dalida, tout en maintenant dans d’autres programmations son attachement aux compositeurs classiques tels que Mozart ou Beethoven.
Quant au jeune maestro Jihed Jbara, il collabore avec Zeïneb Oueslati et le chanteur français Philippe Cavaillé.
Entre succès commercial et question d’identité
Le succès de ces projets autour d’icônes de la musique occidentale est indéniable, d’autant plus qu’ils occupent un créneau encore peu exploré chez nous.
Les billets se vendent à grande vitesse dès leur mise en ligne. Ces spectacles affichent souvent complet et attirent un public intergénérationnel de mélomanes.
Mais ce phénomène soulève des interrogations : pourquoi tant d’hommages à des artistes étrangers plutôt qu’aux grands noms de la musique tunisienne ?
Pour Rafik Gharbi, la réponse est claire. Lors de son dernier concert, il a réagi aux critiques en affirmant : « Nous sommes multiculturels et nous n’avons qu’une seule identité. »
Selon lui, ces concerts sont une manière d’assumer les influences culturelles qui ont marqué son parcours de pianiste et de compositeur, tout en célébrant l’ouverture de la Tunisie sur les musiques du monde.
Un autre moteur de cette tendance est la nostalgie, car de nombreux fans de ce répertoire ont grandi avec la chanson française et voient dans ces spectacles un retour à la musique de leur jeunesse.
Hafedh Makni, quant à lui, a expliqué dans une interview accordée à La Presse que ces concerts constituent une porte d’entrée vers la musique orchestrale pour un public plus large, en lui proposant un format plus accessible et captivant.
Il convient toutefois de souligner que les hommages aux artistes tunisiens et arabes ne manquent pas. Les Journées du Tarab au Palais Ennejma Ezzahra, par exemple, ont récemment célébré, entre autres, Mayada Hennaoui, Oulaya et Naâma.
Rafik Gharbi y a été présent pour un spectacle dédié à Fairouz. Hafedh Makni a récemment revisité des hymnes patriotiques dans son concert « Les voix de la paix ». Il a également rendu hommage à Oum Kalthoum dans un spectacle grandiose il y a quelques mois.
Jihed Jbara, de son côté, valorise régulièrement le patrimoine musical tunisien dans sa série « Kolna Nghanni » qui a fait le tour des plus grandes scènes et où le public chante en chœur les classiques du pays.
Ces artistes ne sont donc pas des « spécialistes » exclusifs de la musique occidentale. Ils ont fait preuve de polyvalence et explorent divers registres afin de toucher un public large et éclectique.
Fait-on des reprises faute de création ?
Les concerts consacrés aux grandes figures de la musique occidentale se multiplient. Il en est de même pour ceux dédiés aux artistes tunisiens et arabes.
Le plus remarquable est le rendez-vous mensuel « Aïn el Mahabba » au Théâtre de l’Opéra de Tunis qui parcourt les titres qui ont marqué la musique tunisienne au cours des dernières décennies.
Mais pourquoi autant de reprises ? Ces hommages cachent-ils un manque d’innovation ?
« Quand on présente nos propres compositions, le public ne semble pas intéressé par la découverte », regrette Rafik Gharbi.
Pour contourner cette difficulté, il insère quelques morceaux qu’il compose dans ses spectacles d’hommage.
Certains sont mis en musique sur des textes en dialecte tunisien, d’autres sont de la musique purement instrumentale.
Son spectacle « Centifolia », présenté l’été dernier, a attiré un public plus restreint que ses reprises d’Aznavour. Il prépare actuellement « La chimie des mélodies », soutenu par le Fonds d’aide à la création du ministère des Affaires culturelles, tout en reconnaissant que l’engouement sera moindre qu’avec une star de musique française à l’affiche.
D’autres artistes tunisiens qui chantent en arabe partagent ce constat. Ils peinent à imposer leurs créations et se voient souvent contraints de reprendre des classiques à la demande des producteurs, voire du public lui-même.
C’est le cas d’Eya Daghnouj, Dali Chebil ou encore Olfa Ben Romdhane. Le public, très attaché aux chansons qu’il connaît, vient davantage pour chanter que pour découvrir.
Il est donc clair que les concerts de reprise, toutes langues confondues, font désormais partie intégrante de la scène musicale tunisienne.
Les spectacles dédiés aux artistes étrangers ont su trouver leur public fidèle et semblent participer à l’ouverture culturelle du pays, sans pour autant menacer la créativité des artistes ni l’attachement des Tunisiens à leurs racines musicales.
Amal BOU OUNI
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