Conflit sanglant au sud de la Syrie : le jeu trouble de Tel-Aviv
En Syrie, plus de 600 personnes ont été tuées depuis le début de la semaine dans des affrontements entre milices bédouines et combattants druzes dans la ville de Soueïda au sud du pays. Israël est intervenu militairement, officiellement pour « protéger » cette minorité.
Retour sur un conflit alambiqué impliquant les Druzes, les Bédouins, le pouvoir de Damas et l’Etat hébreu, le nouveau gendarme de la région.
Il est évident que le nouveau maître de Damas, un ancien djihadiste d’al Qaïda, qui aura troqué le treillis militaire contre un convenable costume trois-pièce, se trouve dans l’incapacité de défendre les minorités en Syrie ; l’ancien Bilad al-Cham, carrefour de civilisations et de grandes religions monothéistes où coexistent depuis la nuit des temps Musulmans sunnites, Chiites duodécimains, Ismaéliens, Alaouites, Chrétiens orientaux ou encore Druzes et Yézidis.
En effet, suite au retrait inexpliqué jeudi dernier des troupes gouvernementales de la ville de Soueïda, dans le sud de la Syrie après les récentes tensions confessionnelles entre des combattants tribaux et des bédouins, soutenus par les autorités, et des combattants druzes, Israël a profité de ce désordre pour bombarder mercredi plusieurs cibles au cœur de Damas dont le QG de l’armée. Apparemment, pour voler au secours de la communauté druze, mais surtout afin de sécuriser ses frontières tout en renforçant sa présence militaire sur le territoire syrien.
Des relations à fleur de peau
Quel est l’origine de ce conflit qui a fait près de 600 morts en quelques jours ? Tout a commencé au milieu du mois de juillet quand un marchand druze à été kidnappé à un checkpoint installé par des groupes bédouins sur l’axe routier Damas-Soueida. Bien qu’il fût libéré par la suite, cet incident a été perçu par les Druzes comme un signe du désengagement de Damas en matière de sécurité. En réaction, certaines factions ont lancé des actions ciblant des secteurs majoritairement bédouins. C’est ainsi qu’un cycle de violences s’est enclenché, faisant plusieurs centaines de morts.
Pour rappel, Les tribus bédouines dans le gouvernorat de Soueida sont des communautés sunnites arabes semi-nomades, économiquement liées au pastoralisme et au petit commerce.
Depuis des siècles, Druzes et Bédouins coexistent dans le sud de la Syrie avec des échanges économiques réguliers mais la cohabitation est parfois tendue. Les Druzes sont arrivés dans la région entre le 17e et le 18e siècle, alors qu’elle était peuplée de chrétiens et de Bédouins sunnites. Mais, les tensions sont apparues quand les Druzes sont devenus majoritaires dans la région et les Bédouins largement minoritaires, avec environ 3% de la population. « Ils ont été marginalisés et sédentarisés. Après l’affaiblissement du régime de Bachar al-Assad, ils ont vu une opportunité de renforcer leur influence locale et ont commencé à mener des attaques pour peser dans les équilibres régionaux », explique un spécialiste de la région.
S’estimant livrés à eux-mêmes face aux offensives druzes, les Bédouins ont sollicité l’intervention du pouvoir central de Damas. Lequel, soucieux de rétablir l’ordre sur son territoire – d’autant plus dans une zone frontalière sensible – a déployé des forces, avec l’intention de réaffirmer l’autorité de l’Etat et d’en profiter pour désarmer les milices druzes hors de son contrôle.
Cynisme
Une aubaine pour le gouvernement israélien. Le ministre israélien des Affaires étrangères a indiqué que de l’aide humanitaire sera envoyée aux druzes de Syrie sous forme d’aide financière de près de 600 000 dollars ainsi que des colis alimentaires et des fournitures médicales.
« Dans le contexte des récentes attaques visant la communauté druze de Soueïda et de la grave situation humanitaire dans la région, le ministre des AE, Gideon Saar, a ordonné le transfert urgent d’une aide humanitaire à la population druze de la région », lit-on dans un communiqué émanant du ministère qui ajoute que « cette effusion de sang et cette violence doivent cesser, et la protection de toutes les personnes doit être la priorité absolue ».
Sautant sur l’occasion pour remodeler à son profits la carte du Proche-Orient, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a affiché sa volonté de « protéger » les Druzes de la Syrie, invoquant « les liens fraternels profonds qui unissent les citoyens druzes d’Israël à leurs proches en Syrie, tant sur le plan familial qu’historique » ? Une empathie très intéressée et pour cause.
En effet, les Druzes appartiennent à une minorité ésotérique d’environ un million de fidèles issue de l’ismaélisme chiite, née au XIe siècle en Egypte et principalement répartie entre la Syrie, le Liban et Israël. Or, il se trouve que les Druzes sont principalement établis au sud de la Syrie où ils occupent notamment la zone montagneuse du Hawran, connue sous le nom de djebel Druze, ainsi qu’au nord d’Israël, en Galilée et sur le plateau du Golan.
D’où la volonté de Netanyahu d’en faire un potentiel allié contre le régime islamiste des nouveaux maîtres de Damas qu’il aura qualifié d’« islamiste extrémiste » et le considère comme une menace directe pour la sécurité d’Israël.
D’ailleurs, un haut responsable israélien n’a-t-il pas confié à CNN que le Premier ministre avait demandé à Donald Trump de ne pas lever les sanctions contre la Syrie, craignant un scénario similaire à celui du 7 octobre 2023 ?
Du coup, Tel-Aviv fera d’une pierre trois coups : gagner le cœur des électeurs druzes vivant en Israël, ériger un rempart contre l’influence chiite représentée par l’Iran et son bras militaire, le Hezbollah ; affaiblir le régime syrien en favorisant une certaine autonomie des Druzes.
Enfin, assurer la stabilité de sa frontière nord en établissant de bonnes relations avec les Druzes du sud de la Syrie. Du grand art dans le cynisme et la fourberie.
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