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Gestern — 22. November 2024Haupt-Feeds

Arrestation de l’écrivain Boualem Sansal : le dessous des cartes

22. November 2024 um 11:29

L’arrestation très médiatisée en Algérie, samedi 16 novembre, de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal s’inscrirait dans le contexte du contentieux territorial entre l’Algérie et le Maroc. Explications.

L’information occupe désormais la Une des médias français. Le romancier et essayiste franco-algérien Boualem Sansal, 75 ans- qui avait reçu le Grand prix du roman de l’Académie française en 2015 devenant depuis cette année-là une véritable figure médiatique- est depuis près d’une semaine en garde à vue dans les locaux des services de sécurité à Alger dans l’attente d’être présenté devant le procureur de la République.

Selon les dernières informations, l’auteur du roman 2084 : La fin du monde dont l’œuvre a été récompensée par de nombreux prix littéraires en France et à l’étranger a été interpellé samedi 16 novembre à Dar El Beida, à l’est d’Alger, par des agents de la Direction générale de la sécurité intérieure algérienne. Et il devrait être présenté bientôt devant un procureur de la République d’Alger ou de Boumerdès, ville située à une cinquantaine de kilomètres de la capitale, où réside Boualem Sansal.

Mêmes si l’interpellation de l’écrivain n’a pas encore été annoncée officiellement par les autorités algériennes, l’écrivain pourrait être poursuivi pour, entre autres, « atteinte à l’unité nationale et à l’intégrité territoriale du pays » et « incitation à la division du pays ». Des chefs d’inculpation passibles de peines de prison, selon le Code pénal algérien.

Inquiétudes

Le président français Emmanuel Macron, qui selon les services de l’Elysée, a exprimé « son attachement indéfectible à la liberté d’un grand écrivain et intellectuel », s’est dit « très inquiet » de la situation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal.

« Il incarne tout ce que nous chérissons : l’appel à la raison, à la liberté et à l’humanisme contre la censure, la corruption et l’islamisme », a réagi l’ex-Premier ministre Edouard Philippe sur X. Tout en lançant un appel aux « autorités françaises et européennes pour obtenir des informations précises et faire en sorte qu’il puisse circuler librement et revenir quand il le souhaitera en France ».

Géopolitique

Mais que reproche-t-on à Alger à l’écrivain, au demeurant virulent critique de l’islamisme sans pour autant mâcher ses mots à l’égard du pouvoir algérien? Sachant que son premier roman, Le serment des barbares, raconte la montée en puissance des intégristes qui a contribué à faire plonger son pays dans une guerre civile ayant fait au moins 200 000 morts entre 1992 et 2002. Une période que la législation nationale interdit désormais d’évoquer, au prétexte d’une réconciliation de la population?

Tout porte à croire que la poursuite pénale engagée contre lui serait liée à ses récentes déclarations à l’occasion de la sortie de son nouveau livre Le français, parlons-en!, aux éditions du Cerf.

En effet, l’invité de l’émission « Frontières » déclara le 2 octobre 2024 que « quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcem, Oran et même jusqu’à Mascara. Toute cette région faisait partie du royaume ».

Et de poursuivre : « Le Maroc, il faut le savoir, est le pays le plus ancien dans le monde. Le Maroc existe depuis 12 siècles, la France existe depuis 1000 ans. Il existait dans sa forme actuelle avec un sultan. C’est un vieil état qui a toujours été très puissant, qui a colonisé toute l’Afrique du Nord, quasiment jusqu’à l’Égypte, qui a colonisé l’Espagne. C’est un Empire très puissant qui s’est étendu jusqu’au Sénégal. »

De toute évidence, cette déclaration choc reprise allégrement par les médias marocains est restée en travers la gorge des autorités algériennes dans un contexte de contentieux territorial entre l’Algérie et le Maroc : certains nostalgiques du Grand Maroc, ne lorgnent-ils pas sur cette région de l’ouest de l’Algérie, qu’ils surnomment « le Sahara oriental » et qui, pour eux, revient « de droit » au royaume ancestral du Maroc?

D’autre part, n’oublions pas que l’Algérie, traditionnel soutien du Front Polisario, mouvement militant pour l’indépendance du Sahara occidental, n’a pas digéré la prise de position d’Emmanuel Macron sur la question de l’ancienne colonie espagnole. En effet, le président français avait en juillet 2024 reconnu la souveraineté du Maroc sur cette bande de terre entre le sud du royaume et le nord de la Mauritanie, mettant ainsi fin à la traditionnelle politique de neutralité de son pays.

Hasard de calendrier?

A noter enfin que l’arrestation du romancier franco-algérien intervient au cœur d’une polémique lancée il y a quelques jours au sujet de Houris, roman de Kamel Daoud couronné par le Prix Goncourt 2024. Un ouvrage, qui évoque également la guerre civile algérienne et qui a valu à son auteur une accusation d’avoir exploité l’histoire d’une Algérienne, Saâda Arbane, sans son consentement.

Par ailleurs deux plaintes ont été déposées en Algérie au mois d’août dernier, quelques jours après la parution de son roman pour « diffamation des victimes du terrorisme et violation de la loi sur la réconciliation nationale ».

Faut-il encore rappeler que dans son pays d’origine, Kamel Daoud est perçu par certains comme la voix de la France, en somme « l’Arabe de service ». Paradoxalement, il paye ainsi le prix d’avoir raflé le prestigieux Prix Goncourt 2024.

Drôle de récompense…

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Création littéraire et respect de la vie privé : l’affaire Kamel Daoud et Saâda Arbane (Vidéo)

18. November 2024 um 09:26

Le débat autour du roman ‘‘Houris’’ de l’écrivain algérien Kamel Daoud, accusé de s’inspirer des événements de la vie de Saâda Arbane, malgré son refus expressément signifié, a relance le vieux débat sur les limites de la transposition de la réalité dans la littéraire et le droit des victimes à la vie privée.

Djamal Guettala 

Tandis que certains perçoivent le roman ‘‘Houris’’ comme une œuvre de fiction inspirée de la réalité, d’autres considèrent que l’exploitation de souffrances personnelles d’une femme sans son consentement constitue une violation de l’éthique.

La littérature, comme tout autre art, est un miroir du réel, mais elle n’en est pas prisonnière. À travers l’histoire, les romanciers se sont inspirés d’événements et de personnages réels pour les remodeler dans un contexte littéraire nouveau. En Algérie, plusieurs exemples illustrent cette dynamique : Albert Camus, qui a trouvé dans un crime réel l’inspiration pour le personnage de Meursault dans ‘‘L’Étranger’’; Kateb Yacine, qui a façonné le personnage de Nedjma dans son roman homonyme en s’inspirant du vécu de sa cousine; Tahar Ouettar, qui a abordé l’exécution des marxistes dans son roman ‘‘Al Laz’’.

Dans la même veine, Kamel Daoud a utilisé des éléments du réel pour construire une fiction littéraire, notamment dans son roman ‘‘Meursault, contre-enquête’’. Et il a fait de même dans son dernier roman ‘‘Houris’’, qui vient d’être couronné du prix Goncourt en France. Mais cette fois-ci, son acte a suscité un scandale en Algérie qui risque d’entacher sa réputation.   

Atteinte à la vie privée

Saâda Arbane, survivante d’un massacre de la décennie noire, affirme que Kamel Daoud s’est inspiré de son histoire personnelle sans son autorisation. Elle dit même lui avoir signifié clairement son refus lorsqu’il lui a fait part de son intention d’utiliser son histoire dans un roman. Et bien que ce roman ne mentionne pas explicitement le nom de la jeune femme, les similitudes dans les détails contenus dans le roman et le vécu tragique de Saâda ont suscité la colère de celle-ci qui entend poursuivre le romancier en justice. C’est, en tout cas, ce qu’elle a raconté dans une vidéo ayant circulé ces derniers jours dans les réseaux sociaux, où elle raconte ses liens avec Kamel Daoud, à travers son épouse. Cette dernière est la psychiatre qui traite Saâda depuis le début de son drame et qui a intercédé entre sa patiente et son époux pour permettre à ce dernier d’exploiter une histoire censée rester un secret personnel.

Il y a là, entendons-nous, un premier problème : celui de la divulgation du secret médical auquel Mme Daoud ne peut pas se dérober. Elle a trahi sa patiente et abusé de sa confiance. Et c’est impardonnable de tout point de vue.

Sur le plan de la création littéraire, un romancier n’a certes pas besoin du consentement explicite de quiconque pour s’inspirer d’événements réels ou de faits divers, tant que l’œuvre dépasse le cadre d’un récit documentaire pour transfigurer les faits et leur donner une dimension artistique et philosophique. Cependant, la question morale et éthique persiste : un écrivain a-t-il le droit d’exploiter les souffrances d’une personne sans son accord?

Violation du secret professionnel

L’accusation portée contre l’épouse de Kamel Daoud, soupçonnée d’avoir profité de son statut de médecin pour divulguer des détails confidentiels sur Saâda, soulève des enjeux juridiques et éthiques. Encore faut-il établir un lien direct, évident et indiscutable entre l’histoire de Saâda et celle de l’héroïne du roman de Kamel Daoud. Ce que la concernée soutient à l’appui de son accusation : les quelques menus changements introduits par Daoud (noms, lieux, etc.) ne font que rendre encore plus évidentes les similitudes existant entre le vécu de Saâda et celui de l’héroïne du roman «incriminé».

Les analystes suggèrent que le refus de Saâda de voir son histoire relatée dans un roman pourrait être lié à ce que l’on appelle le «syndrome de l’amnésie post-traumatique». Les victimes préfèrent souvent enfouir leurs souvenirs douloureux plutôt que de les affronter. Cette problématique s’inscrit dans un contexte plus large en Algérie, où les massacres de la décennie noire restent largement tabous, offrant un terrain favorable à l’impunité des coupables.

Saâda affirme que la sortie du roman a remué le couteau dans la plaie, en lui rappelant les détails de la tragédie qu’elle a vécue, et que depuis, elle ne retrouve plus le sommeil, ne mange presque plus et a du mal à se concentrer sur quoi que ce soit. Ce dont son mari a témoigné dans la même vidéo.   

Limites de la liberté de création

Pour Kamel Daoud, comme pour d’autres écrivains, la littérature est un moyen de confronter l’Histoire et de raviver des mémoires face à la menace de l’oubli. Pourtant, la question demeure : comment concilier la liberté de création littéraire avec le respect de la vie privée des individus?

L’affaire Kamel Daoud et Saâda Arbane dépasse le simple débat littéraire, en posant des questions fondamentales sur la relation entre l’art et la réalité, ainsi que sur les limites éthiques de la transposition de la réalité dans une œuvre artistique. Même si dans une société marquée par des traumatismes collectifs, la littérature reste un moyen nécessaire pour interroger le passé et essayer de le comprendre.

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